« Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise…, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang… ».
Ce 30 juin 1960, le jeune Premier ministre Patrice Emery Lumumba jette le froid sur une cérémonie jusque-là hypocritement conviviale. Il prononce ces mots devant le roi des belges Baudouin 1er qui a fait le voyage à Léopoldville, l’actuel Kinshasa. Comme ailleurs sur le continent en cette année des indépendances, l’heure est à l’optimisme. Lumumba parle du début d’une « lutte sublime » qui va mener son pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. 50 ans plus tard, l’actuel chef de l’Etat Joseph Kabila ne rappellera sans doute pas le discours de Lumumba lors des festivités prévues ce 30 juin 2010 à Kinshasa en présence de son invité de marque, l’actuel roi des Belges, Albert II. Au cours du dernier demi-siècle, la paix, la prospérité et la grandeur auront été des denrées rares au Congo-Léopoldville renommé Zaïre puis République démocratique du Congo.
Moins de deux semaines après la proclamation de l’indépendance, le gouvernement de l’Etat indépendant du Congo demande l’assistance militaire de l’ONU pour protéger le territoire national menacé à la fois par la sécession du Katanga, province minière la plus riche du pays, et par les fortes tensions avec la Belgique. Le Conseil de sécurité autorise rapidement le déploiement d’une force des Nations unies. Cette mission qui comprendra presque 20 000 hommes à son pic n’empêche pas le Congo de connaître son premier crime politique majeur, l’assassinat de Patrice Lumumba le 15 janvier 1961. C’est l’issue fatale d’une conspiration alliant les adversaires politiques congolais du fougueux et idéaliste Premier ministre et services secrets occidentaux tout autant hostiles à ce dernier accusé de sympathies communistes.
Le 30 juin 1964, les soldats de la plus grosse mission de paix de l’ONU à l’époque quittent le pays désormais « pacifié » par une main de fer enrobée du velours de la corruption et de toutes les compromissions. Celle du général Mobutu Sese Seko qui s’autoproclamera maréchal, pillera les caisses de l’Etat et ne quittera le pouvoir, par la force, qu’au bout de 32 ans. Il est chassé par les troupes d’une rébellion soutenue par les voisins rwandais et ougandais et conduite par un ancien partisan de Lumumba, Laurent-Désiré Kabila. Ce dernier est assassiné à son tour dans son bureau de la présidence en janvier 2001.
Le 30 juin prochain, environ 20 000 soldats et policiers de l’ONU seront sur le sol de la République démocratique du Congo. C’est sans doute pour éviter de donner la fâcheuse impression d’un pays qui a tourné en rond pendant cinquante ans et qui est toujours incapable d’assurer sa sécurité que le gouvernement de Joseph Kabila, qui a succédé à son père, a fait mine de réclamer avec insistance le départ des casques bleus de la Mission des Nations Unies au Congo (Monuc) présents depuis dix ans. Le Conseil de sécurité n’a autorisé que le départ de 2000 soldats avant le 30 juin et un changement cosmétique de la Monuc en Monusco, comme mission de stabilisation au Congo à compter du 1er juillet. En 2010, le Congo, 80 fois plus vaste que la Belgique, porte toujours comme une malédiction les circonstances de sa colonisation, d’abord par le roi des Belges qui en fit sa propriété personnelle puis par l’Etat belge, et celles de sa décolonisation dans le contexte de la guerre froide.
Extraordinairement riche en matières premières précieuses, du diamant à l’uranium, de cuivre au colombo-tantalite (coltan) essentiel dans l’industrie électronique, le pays fait l’objet de toutes les convoitises depuis près de deux siècles. Les acteurs locaux et étrangers changent mais les ingrédients du cauchemar de l’écrasante majorité des 66 millions d’habitants n’ont point varié : prédation, violence et impuissance. Le meurtre le 2 juin dernier de l’une des personnalités les plus respectées de la société civile congolaise, le défenseur des droits humains Floribert Chebeya, est venu rappeler l’extrême vulnérabilité de ceux qui luttent au quotidien pour que ce potentiel géant d’Afrique ne soit pas à jamais un gros poids mort au cœur du continent.
(Publié sur infosud.org le 30 juin 2010)