A la veille des élections présidentielle et parlementaires au
Nigeria, ce samedi 28 mars, tout citoyen d’un pays d’Afrique de l’Ouest, mais
aussi du Tchad et du Cameroun, devrait avoir une pensée pour les 170 millions (à
peu près) de femmes, d’hommes et d’enfants qui attendent de voir de quoi les lendemains
de scrutins seront faits. Et puisque nous sommes dans une région, Nigéria
compris, où une majorité des âmes en appellent et s’en remettent chacun à son
Dieu pour tout ou presque, même au moment de commettre les actes les plus
contraires aux préceptes de leurs religions respectives, accompagnons notre
pensée de prières.
Plutôt que de dire la même chose avec des mots différents, je me
suis dit qu’il pouvait être utile de rappeler quelques passages sur le Nigéria,
écrits ici et là ces derniers mois, à l’approche du grand moment de
renégociation des pouvoirs, des ressources et des destins individuels de nombre
d’hommes et de femmes que constitue chaque scrutin. Alors voilà pourquoi
toute une partie du continent doit avoir une pensée solidaire et pieuse pour sa
première puissance démographique :
« En réalité, à l’approche d’élections présidentielles et
générales dans un pays où des centaines de personnes ont été tuées au lendemain
des élections précédentes en 2011, pourtant jugées moins truquées que les
précédentes, c’est à un nouveau déferlement de violences qu’on s’attend au
premier trimestre 2015, et pas seulement au nord-est. Que Boko Haram soit enfin
affaibli ou non par les armées nigériane et camerounaise ne changera
probablement pas grand chose au bilan humain prévisible des batailles
politiques à venir dans ce pays où l’accès à une portion de l’immense rente
pétrolière est une affaire de vie ou de mort… »
« La situation du nord-est du Nigeria en
2014, tout comme celles, tout autant marquées par une banalisation de la
violence et du crime, du Delta du Niger ou du Middle Belt où les massacres à
dimension ethnique mais profondément politiques font des centaines de morts
chaque année, sont le résultat de décennies de renonciation collective des
élites du pays à tenter de donner du sens à l’appartenance à une nation
extrêmement diverse en l’unissant derrière quelques valeurs communes. La
fabuleuse manne pétrolière a constitué le ciment de cette œuvre de destruction
ou plus exactement de non construction d’une fédération nigériane dont
l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique toute entière aurait pu, et aurait dû, être
fière ».
Et à l’intention des voisins du Nigeria et de
toutes les population d’Afrique de l’Ouest : « Que l’on aime ou pas
le Nigeria, que l’on en ait peur ou pas, n’a aucune importance. Lorsqu’on vit
en Afrique de l’Ouest et qu’on veut continuer à y vivre en paix pendant les
décennies à venir, on doit s’intéresser à l’évolution du Nigeria et travailler
ensemble à ramener ce pays sur une trajectoire plus rassurante que celle
qu’elle emprunte actuellement… »
Un professeur d’université nigérian rencontré
il y a quelques jours à l’occasion d’une conférence dans une capitale de la région s’est voulu
rassurant lorsque nous l’avons interrogé sur les risques liés aux élections
imminentes dans son pays. Il nous a expliqué que « rien ne se passera, les
élections vont passer et le Nigeria sera
toujours là, il ne s’effondrera pas, la vie va continuer… ». Il pensait
nous rassurer mais en réalité cela m’a davantage inquiété. C’est précisément
parce que le Nigeria a toutes les chances de ne pas changer après des mois de
débauche financière électoraliste indécente, de paralysie de l’administration, de
violences politiques verbales et très probablement de contestations postélectorales
qu’il faut s’inquiéter.
L’Afrique a besoin d’un sursaut politique au
Nigeria et d’une véritable rupture. Elle n’a pas besoin d’un Nigeria dont la
plus grande ambition est de ne pas s’effondrer tous les quatre ans, à chaque
année d’élections générales. L’offre
politique servie à près de 68 millions d’électeurs ce 28 mars n’est pas
géniale. Il faut faire avec l’opposition entre Goodluck Jonathan, le président
sortant dont les Nigérians sont les mieux placés pour établir le bilan, et le
général à la retraite Muhammadu Buhari qui a dirigé le pays il y a trois
décennies. Difficile de croire à des lendemains qui chantent et qui changent avec des favoris qui manquent singulièrement de fraîcheur.
La rupture ne peut venir que de cette nouvelle
génération de Nigérianes et de Nigérians qui s’activent, se mobilisent,
travaillent tous les jours au sein de mouvements organisés contre la
corruption, la culture d’impunité, les trucages électoraux, les manipulations
des entrepreneurs religieux et ethniques et toutes les tares qui expliquent
l’incapacité de ce pays naturellement riche et potentiellement puissant à
fournir les services publics essentiels à la majorité de ses habitants.
Le Nigeria ne se résume ni à Boko Haram ni à la
culture de la corruption et de l’argent facile. C’est aussi un formidable
réservoir d’énergie, de vitalité, de créativité, de modernité et d’irrépressibles
désirs de changement. Lorsqu’on vit en Afrique de l’Ouest et qu’on veut continuer
à y vivre en paix pendant les décennies à venir, on doit encourager cette
partie du Nigeria qui ne fait pas peur, qui innove et qui donne envie, et on
doit la connecter aux autres acteurs de progrès dans les autres pays de la
région, en faisant tomber les barrières linguistiques et les préjugés des uns
sur les autres. C'est aussi ce que nous voulons faire en portant l'initiative d'un think tank citoyen pour l'Afrique de l'Ouest, le WATHI. En attendant, prions avec les Nigérians, que nous y croyions vraiment ou pas.