« La corruption n’est-elle pas présente dans tous les pays de la planète ? La corruption n’est-elle pas très répandue dans les pays d’Asie de l’Est qui sont pourtant des modèles en matière de développement économique ? »
« La corruption présente dans les hautes sphères politiques et économiques a-t-elle empêché la Chine de connaître des taux de croissance à deux chiffres pendant des décennies et de réduire significativement la pauvreté ? Pourquoi donc parler autant de la corruption en Afrique et en faire le problème le plus important ? »
Cette opinion, on l’entend souvent, exprimée par des Africains ou par leurs partenaires en affaires du reste du monde, lorsqu’on s’attarde sur la corruption en Afrique comme étant un obstacle majeur au développement économique et social. Que la corruption soit présente sur tous continents n’est peut-être pas ce qui importe le plus pour les dizaines de millions d’Africains qui en paient le prix le plus fort, en étant privés d’un minimum de services publics de santé, d’éducation, de sécurité et d’opportunités économiques en raison des détournements massifs des ressources publiques et de nombreuses autres formes de pillage des richesses de leurs pays.
Décrivez les mécanismes de la corruption dans votre pays et proposez vos solutions!
C’est pour éviter que des questions mal posées n’éloignent les citoyens des pays africains de leurs priorités en matière d’engagement collectif pour changer le présent et l’avenir que le laboratoire d’idées citoyen et participatif pour l’Afrique de l’Ouest, le WATHI, a été créé. C’est parce que nous avons de bonnes raisons de penser que l’Afrique de l’Ouest est dangereusement fragilisée par le niveau de corruption qui règne dans la plupart des pays de la région que le premier débat en ligne de l’année sur le site de WATHI porte sur cette question.
C’est vous qui avez la parole. Quelle est votre évaluation de l’ampleur et des conséquences de la corruption dans votre pays ? Quelles sont les formes qu’elle prend concrètement ? Comment se manifeste-t-elle dans les secteurs de l’éducation et de la santé ? Peut-on isoler la « petite corruption » visible des agents de police et autres fonctionnaires au contact des usagers de la grande corruption raffinée des hauts responsables politiques et administratifs et de leurs alliés locaux et étrangers dans le monde des affaires ? Et surtout, quelles sont vos propositions pour lutter plus efficacement contre la corruption et l’enrichissement illicite dans le contexte spécifique de votre pays ? Où et comment attaquer les systèmes de corruption profondément installés ?
L’enjeu de la lutte contre la corruption est considérable pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous soupçonnons fortement que la corruption sous ses diverses formes a atteint dans beaucoup de pays de la région le seuil à partir duquel une tumeur bénigne devient cancérigène et fatale. La corruption, lorsqu’elle est généralisée et systémique est une source de détournement massif de ressources financières destinées à des services publics vitaux pour les populations, dans le sens littéral du terme.
La corruption tue à petit feu nos États, nos économies et l’âme de nos sociétés
Au Bénin, la dernière grande affaire de corruption concernait le détournement massif, et bien élaboré, de fonds d’aide des Pays-Bas destinés aux projets d’approvisionnement en eau potable des populations rurales. Le coût d’une telle corruption, c’est la santé et donc la survie des plus pauvres.
Au Nigeria, où de hauts responsables civils et militaires ont détourné pendant des années, voire des décennies, des millions de dollars destinés aux équipements et à la formation des forces armées et des services de sécurité, le vrai coût de la cupidité d’une poignée d’élites toutes ethnies, religions et origines géographiques confondues, c’est la vie de dizaines de milliers de personnes au nord du Nigeria et dans tout le bassin du lac Tchad.
La corruption systémique change les incitations et oriente le temps, l’énergie, la créativité des populations vers des activités visant l’enrichissement individuel immédiat
Plus grave que ses effets immédiats perceptibles, la corruption systémique change les incitations et oriente le temps, l’énergie, la créativité des populations vers des activités visant l’enrichissement individuel immédiat par l’accession à des positions de rente, au détriment des activités productives, de l’innovation et de l’intérêt général. C’est pour cela que nous vous invitons tous à participer à cette réflexion collective sur les moyens non pas d’éradiquer la corruption, mais de la ramener dans des proportions et des formes qui ne détruisent pas à petit feu nos États, nos économies et l’âme de nos sociétés ouest-africaines.
Article publié dans Jeune Afrique le 11 février 2016
http://www.jeuneafrique.com/301543/politique/lutter-contre-corruption-wathi-think-tank-citoyen-donne-parole/