Alors que le choc provoqué en Guinée et ailleurs en Afrique et dans le monde par les tueries et les viols du 28 septembre dernier est déjà retombé, comme toujours, le processus de négociation a commencé à Ouagadougou sous l’égide du médiateur désigné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Blaise Compaoré. Le président du Burkina Faso a successivement reçu une délégation des « Forces vives » regroupant partis politiques et organisations de la société civile et les représentants de la junte au pouvoir à Conakry. Parmi les propositions, on entend parler de gouvernement d’union nationale, d’un Premier ministre consensuel aux larges prérogatives qui pourrait cogérer le pays avec le chef de la junte, le capitaine Dadis Camara qui serait maintenu comme chef de l’Etat jusqu’aux élections. De telles demi-mesures ne suffiront pas. Dès lors que la commission d’enquête internationale réclamée par le secrétaire général de l’ONU et par le Conseil de sécurité a été constituée et s’apprête à commencer ses activités sur le terrain, on se dit que cette fois, l’impunité ne sera pas tolérée. On veut bien y croire. Mais cela n’aura pas un impact immédiat sur les modalités de la sortie de la crise politique et sécuritaire actuelle.
Les implications politiques du massacre du 28 septembre, qui ne fut qu’un révélateur sanglant d’une réalité guinéenne bien connue et documentée depuis des années, doivent orienter clairement la médiation du président Compaoré et les décisions ultérieures de la CEDEAO. Si le résultat des discussions de Ouagadougou devait se limiter à la formation d’un gouvernement d’union nationale et d’une limitation, sur le papier, des pouvoirs de la junte par la création d’un organe législatif transitoire et la nomination d’un Premier ministre consensuel, on aura préféré une solution de facilité inopérante à moyen et long terme à un ensemble de décisions cohérentes fondées sur une solide analyse de la situation et une ambition réelle de protéger la Guinée de la violence et de l’arriération politique. Croire qu’un chef de gouvernement civil, quelque fussent sa détermination et ses qualités individuelles, encadré au quotidien par les soldats surarmés qui ne répondent qu’aux numéros 1, 2 ou 3 de la junte, pourra effectivement avoir une influence significative sur l’évolution politique et sécuritaire du pays, c’est n’avoir rien compris à la spécificité du problème guinéen. Ou faire preuve d’un optimisme qui frise avec l’irresponsabilité. Une telle solution politique négociée peut marcher. Parfois, des miracles se produisent. Mais il n’est généralement pas avisé de prendre des décisions sur la seule base de la croyance aux miracles.
Compaoré et la CEDEAO doivent absolument décider de l’envoi d’une mission de l’organisation régionale en Guinée composée de civils et de militaires qui sera chargée de veiller à la mise en œuvre effective des décisions issues des négociations entre les parties. Une partie de la composante militaire de la mission, idéalement des gendarmes, serait exclusivement affectée à la protection des membres du futur gouvernement, des autres personnalités politiques candidates à la prochaine élection présidentielle, des témoins et des enquêteurs de la commission d’enquête sur les évènements du 28 septembre 2009. Au sein de la mission, une équipe d’officiers ouest-africains respectés s’attèlerait à engager le dialogue avec les chefs militaires guinéens sur les modalités de la réforme de cette armée en commençant par des questions concrètes cruciales comme le recensement des effectifs réels des différents corps, le stockage des armes et des munitions et le sort de tous les militaires arrêtés par la junte au cours des derniers mois et détenus au secret.
Les autres soldats de la mission constitueraient une force d’effectifs limités, - qui dépendra des capacités militaires rapidement mobilisables dans l’espace CEDEAO, dotée de moyens de mobilité et d’intervention pour faire face à d’éventuelles éruptions de violence durant la période de transition et jusqu’au lendemain des élections législatives et présidentielles. Une telle force pourrait naturellement être renforcée en cas de détérioration avérée de la situation sécuritaire, en particulier dans la région forestière aux confins du Liberia et de la Sierra Leone. La composante civile de la mission aurait d’une part un rôle d’appui à la composante militaire et d’autre part la responsabilité de coordonner l’assistance extérieure au gouvernement transitoire en particulier dans la conduite du processus électoral.
La junte et ses partisans essaient de faire croire que tout est rentré dans l’ordre en Guinée et que toute idée d’intervention militaire extérieure est dénuée de bon sens. Ils font semblant de ne pas comprendre la différence entre une mission de taille réduite dont le mandat est strictement défini et une force d’interposition de plusieurs milliers d’hommes. Personne dans la région n’envisage de lancer une énorme opération de maintien de la paix en Guinée et aucun chef d’Etat de la CEDEAO n’a furieusement envie d’envoyer des centaines de soldats dans un bourbier. C’est précisément pour éviter d’en arriver là qu’il faut envoyer, dès maintenant, une mission moins coûteuse déterminée à aider les Guinéens à tourner, un demi-siècle après l’indépendance, la page d’une « spécificité » qui tue, affame et anéantit systématiquement les espoirs de chaque génération. C’est cela l’enjeu. Il dépasse largement la question de l’avenir de Dadis Camara et de ses acolytes. Si par miracle, un président civil venait à être démocratiquement élu, son espérance de vie au pouvoir sera ridiculement faible face à une armée qui n’a aucune chance de se réformer d’elle-même.
(Publié sur allafrica.com le 17 novembre 2009)
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