Considéré comme un modèle de démocratie sur le continent africain, le Bénin voit son président éclaboussé par un vaste scandale financier, de mauvais augure à quelques mois des élections. Mais alors que le pays fête ses 50 ans d’indépendance, cette affaire révèle surtout une grave crise morale et politique.
Quelques mois avant la fête de l’Indépendance du 1er août, l’état d’avancement des chantiers -pourtant modestes- lancés dans la capitale politique du Bénin, Porto-Novo, n’a pu que susciter inquiétudes et dépit. A croire que l’extraordinaire difficulté à faire, à bien faire, et à respecter les délais prévus pour la moindre réalisation publique d’envergure est peut-être le meilleur révélateur de l’absence d’un lien automatique entre démocratie d’une part et bonne gouvernance et décollage économique de l’autre.
Terre de royaumes puissants et de résistance héroïque à l’entreprise coloniale française, le Dahomey – qui sera renommé Bénin en 1975 -, s’est longtemps enorgueilli de son étiquette de « quartier latin de l’Afrique », bon élève de l’école coloniale élitiste française. Champion africain des coups d’Etat sans effusion de sang dans les années 1960, le pays est encore réputé aujourd’hui dans la région pour la qualité de ses intellectuels. Ceci, alors que le pays n’a pourtant jamais été un champion du développement économique, social, culturel ou même sportif. De quoi se poser des questions dérangeantes à l’heure du cinquantenaire.
Bienveillance de l’État envers les fraudeurs
Mais ce travail d’introspection et de remise en cause collective n’aura pas vraiment lieu en ce mois d’août gris et pluvieux. La faute à un énième scandale financier et politique, particulièrement énorme. Qualifiée de « Madoff béninois », du nom du super escroc américain Bernard Madoff, l’affaire met en scène une institution de placement d’argent, Investment Consultancy & Computering services, qui a collecté auprès des populations béninoises l’équivalent de plus de 150 millions d’euros avant de se révéler comme ce qu’elle a toujours été : une vaste escroquerie fonctionnant sur le vieux principe de la fraude pyramidale.
L’affaire n’aurait pas pris la tournure d’une crise nationale sans précédent si elle ne concernait pas une proportion inquiétante de citoyens et n’impliquait pas des sommes vertigineuses au regard de la petite économie béninoise. Et si les responsables de l’entreprise frauduleuse n’avaient pas bénéficié de la bienveillance des principales personnalités de l’Etat et du pouvoir en place.
Le président Boni Yayi, économiste élu brillamment avec près de 75 % des voix au second tour de l’élection présidentielle en 2006, se retrouve en mauvaise posture à huit mois de la remise en jeu de son mandat. Aujourd’hui, une cinquantaine de députés sur les 83 que compte le parlement demandent que le président soit mis en accusation dans l’affaire des placements d’argent illégaux. Il a déjà dû limoger le procureur de la République de la capitale économique, Cotonou, et son ministre de l’Intérieur, tous deux détenus pour complicité présumée avec les auteurs de la fraude.
Des intérêts promis de 200%
Entre les histoires dramatiques des Béninois qui ont mis toutes leurs économies et des fonds empruntés dans les caisses de l’institution de placement qui leur promettait des intérêts de l’ordre de 200% et les accusations de complicité et répliques salées échangées quotidiennement entre les leaders de l’opposition et ceux du camp présidentiel, point de place pour une analyse dépassionnée du bilan des cinquante dernières années.
En réalité, le scandale financier qui frappe toutes les couches de la société béninoise offre une occasion rare à la nation de se regarder en face et de constater, enfin, que le quatrième temps de son histoire est celui du culte de l’argent facile et de la mort des idées, après l’époque des illusions de l’indépendance, l’ère de la ferveur révolutionnaire, puis celle de l’excitation démocratique et des libertés retrouvées.
Au Bénin, une insidieuse et profonde crise des valeurs collectives assombrit l’avenir pourtant plein de promesses d’une population jeune, bouillonnante et capable d’ingéniosité. La crise est aussi celle d’un système politique marqué aussi bien par sa capacité à produire des alternances démocratiques pacifiques que par sa corruption et son inaptitude à insuffler une véritable dynamique économique partagée.
Pendant cinquante ans, les Dahoméens puis les Béninois ont su échapper au pire : la guerre civile, les violences politiques et intercommunautaires et la famine. Les Béninois nourrissent plus d’ambitions au moment d’entamer un nouveau cinquantenaire.
(Publié sur infosud.org le 2 août 2010)
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