Slate Afrique - Le capitaine
Sanogo (auteur du coup d'Etat du 22 mars) contrôle-t-il réellement l’armée malienne?
Gilles Yabi - Le Mali est dans une situation marquée par une confusion générale et cela est vrai aussi bien sur le plan politique que militaire. On ne peut pas parler de contrôle de l’armée comme s’il s’agissait encore d’un bloc homogène avec un commandement perçu comme légitime par les membres des différents corps.
Les affrontements, il y a quelques semaines, entre les bérets verts, dont fait partie le capitaine Sanogo, et les bérets rouges, qui étaient proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré (au pouvoir jusqu’au 22 mars 2012), ont montré que tous les militaires n’étaient pas solidaires avec la junte. Mais le dénouement de cet épisode a aussi prouvé que la junte de Kati disposait d’une base solide au sein de l’armée, ou du moins, qu’elle n’était pas rejetée massivement par la majorité des troupes.
Sanogo en est sorti renforcé. Il rassemble derrière lui ceux qui dans l’armée en voulaient depuis des années aux officiers et sous-officiers perçus comme étant personnellement proches de l’ancien président et collectivement accusés de corruption et de tous les autres maux.
SlateAfrique - La convention nationale peut elle déboucher sur une sortie de crise ?
G.Y. - Le projet de convention nationale a été rejeté par le président intérimaire Dioncounda Traoré et par un grand nombre de partis politiques. Ce fut déjà le cas lorsque le capitaine Sanogo agitait cette proposition pour essayer de se maintenir à la tête de l’Etat après le putsch, et cherchait à montrer à l’opinion publique internationale que la junte bénéficiait du soutien de la population malienne.
Une convention nationale ou une conférence nationale n’est jamais en soi une solution à une crise. Elle ne peut aboutir à un résultat positif pour un pays que lorsque certaines conditions sont réunies, à commencer par une préparation minutieuse dans un contexte dépassionné. Toutes les composantes de la société politique et civile malienne n’ont jamais été autant divisées qu’en ce moment. Ce n’est pas dans un tel contexte qu’on peut organiser une convention nationale susceptible de décider d’une feuille de route pour sortir d’une crise profonde et multiforme.
Slate Afrique - Des affrontements sont-ils à craindre entre différentes factions de l’armée?
G.Y. - Les affrontements ont déjà eu lieu entre factions de l’armée en pleine ville et cela fut un choc pour les populations de Bamako, une des villes les plus tranquilles en Afrique de l’Ouest. Pour des personnes comme moi qui ont vécu il n’y a pas si longtemps à Bamako, ces affrontements armés ont aussi représenté une tragédie à laquelle il fallait mettre fin au plus vite. Le coup d’Etat a ouvert la porte à toutes les dérives et on ne peut plus rien exclure, y compris de nouvelles tensions au sein de l’armée susceptibles de dégénérer en confrontations violentes.
On peut espérer que la clarification institutionnelle permette de réduire significativement ce risque en créant les conditions d’une remise sur pied de la chaîne de commandement des armées. L’attaque violente ce 21 mai sur le président intérimaire, alors qu’il était dans son bureau, est cependant l’illustration que tout est désormais possible au Mali, y compris le pire.
Slate Afrique - Le Sud du Mali est-il lui aussi menacé de fragmentation?
G.Y. - Le risque n’est pas celui d’une fragmentation semblable à ce qui se passe dans le nord, avec la présence de divers groupes armés contrôlant des villes, des quartiers de ville et des villages. Au sud, la menace est celle d’un effondrement de l’Etat à la fois dans sa légitimité et dans sa capacité à offrir aux populations la sécurité et les services sociaux et économiques de base. La perte de contrôle total des trois régions du nord et le coup d’Etat Bamako ont dramatiquement fragilisé l’édifice étatique malien. C’est la remise sur pied rapide de l’Etat qui est aujourd’hui prioritaire parce qu’aucun début de solution à la crise du nord ne peut être trouvé dans un contexte de grande faiblesse et de divisions des autorités civiles et militaires de l’Etat central.
Slate Afrique - Assiste-t-on aussi à une montée de l’islamisme radical dans le Sud du Mali ?
G.Y. - Il faut être prudent et précis lorsque l’on parle de l’islamisme radical parce qu’il y a une tendance à confondre des courants islamiques très variés coexistant sur les mêmes territoires, qui défendent des pratiques religieuses différentes et recourent à des moyens différents pour diffuser ou imposer leurs visions.
La justification ou non du recours à la force dans cet objectif est un des facteurs discriminants entre ces groupes. Tous les mouvements islamistes radicaux ne prônent pas l’usage de la violence. Au Mali, au nord comme au sud, des groupes se réclamant chacun d’un Islam plus authentique que l’autre, tentent depuis des années de «convertir» les musulmans à des pratiques spécifiques, allant généralement dans le sens d’une application rigoureuse sinon littérale de la charia (loi islamique).
Au Mali comme dans beaucoup de pays africains à dominante musulmane ou chrétienne, des prêcheurs venus d’ailleurs se sont progressivement implantés. C’est aussi une dimension de la mondialisation, généralement ignorée. Au nord du Mali, un rapport de Crisis Group soulignait en 2005 l’activité de prêcheurs pakistanais du courant Jama’at Al-Tabligh (ou Da’wa) d’origine asiatique. L’ancien rebelle touareg aujourd’hui chef d’Ansar Dine Iyad Ag Ghali était devenu le leader spirituel des Tablighis au Mali.
Il faut donc comprendre que l’agenda islamiste – dans le sens de la diffusion d’une nouvelle manière pour des populations musulmanes de vivre au quotidien leur foi - n’est pas apparu subitement au nord du Mali. Cela est vrai aussi au sud. Des courants importés d’ailleurs, que ce soit du Pakistan ou de l’Arabie saoudite, influencent les dynamiques religieuses locales et conduisent à la modification des pratiques de groupes de plus en plus importants au sein de la communauté musulmane, dans un sens plus conservateur, et pour certains, dans un extrémisme qui peut tolérer l’usage de la violence pour imposer leur vision de l’Islam.
Là encore, il faut décrypter les évolutions de la société malienne dans le domaine religieux de manière fine et faire la distinction entre la montée probable d’un conservatisme religieux et celle, peu probable, d’un extrémisme flirtant avec la violence. Il faut rappeler que la mobilisation organisée par le Haut conseil islamique du Mali à Bamako contre un projet de code de la famille jugé trop progressiste et contraire aux valeurs traditionnelles de la société malienne avait poussé le gouvernement et le parlement à reculer, au grand dam des organisations de défense des droits des femmes… et de l’Homme.
Ce signe d’une puissante capacité de mobilisation d’une masse de personnes sur le thème de l’Islam – un grand stade de Bamako avait été rempli par des manifestants à l’appel du Haut Conseil - traduit la force du conservatisme mais ne signifie pas par exemple qu’il y aurait une demande ou un désir d’imposition de la charia dans le sud du Mali.
Slate Afrique - Les hommes du capitaine Sanogo affichent leur volonté de «nettoyer» la société et de lutter contre la corruption. Mais sont-ils eux-mêmes irréprochables? Certains d’entre ne sont-ils pas déjà impliqués dans des trafics?
G.Y. - Chaque fois qu’un coup d’Etat est perpétré dans la région, ses auteurs proclament leur volonté de sauver la nation de la décadence incarnée par le régime destitué et se présentent comme les seuls qui soient du côté des masses exploitées par la classe dirigeante des années précédentes. Il n’y a donc rien de surprenant et de nouveau dans le discours politique de la junte malienne. Sont-ils irréprochables? Je n’en sais rien.
De fait, ceux qui jouent les premiers rôles dans la junte n’étaient pas dans des positions au sein de l’armée leur permettant de bénéficier des opportunités d’enrichissement qui s’offraient aux anciens chefs. Mais cela constitue-t-il un gage d’intégrité à toute épreuve? Comment distingue-t-on ceux qui condamnent la corruption et l’enrichissement illicite des dirigeants civils et militaires parce qu’ils abhorrent l’accaparement des ressources du pays et défendent une rupture réelle dans le mode de gouvernance de ceux qui ne sont contre la corruption et le laxisme parce qu’ils ont été exclus du cercle des profiteurs?
Propos recueillis par Pierre Cherruau
Gilles Yabi - Le Mali est dans une situation marquée par une confusion générale et cela est vrai aussi bien sur le plan politique que militaire. On ne peut pas parler de contrôle de l’armée comme s’il s’agissait encore d’un bloc homogène avec un commandement perçu comme légitime par les membres des différents corps.
Les affrontements, il y a quelques semaines, entre les bérets verts, dont fait partie le capitaine Sanogo, et les bérets rouges, qui étaient proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré (au pouvoir jusqu’au 22 mars 2012), ont montré que tous les militaires n’étaient pas solidaires avec la junte. Mais le dénouement de cet épisode a aussi prouvé que la junte de Kati disposait d’une base solide au sein de l’armée, ou du moins, qu’elle n’était pas rejetée massivement par la majorité des troupes.
Sanogo en est sorti renforcé. Il rassemble derrière lui ceux qui dans l’armée en voulaient depuis des années aux officiers et sous-officiers perçus comme étant personnellement proches de l’ancien président et collectivement accusés de corruption et de tous les autres maux.
SlateAfrique - La convention nationale peut elle déboucher sur une sortie de crise ?
G.Y. - Le projet de convention nationale a été rejeté par le président intérimaire Dioncounda Traoré et par un grand nombre de partis politiques. Ce fut déjà le cas lorsque le capitaine Sanogo agitait cette proposition pour essayer de se maintenir à la tête de l’Etat après le putsch, et cherchait à montrer à l’opinion publique internationale que la junte bénéficiait du soutien de la population malienne.
Une convention nationale ou une conférence nationale n’est jamais en soi une solution à une crise. Elle ne peut aboutir à un résultat positif pour un pays que lorsque certaines conditions sont réunies, à commencer par une préparation minutieuse dans un contexte dépassionné. Toutes les composantes de la société politique et civile malienne n’ont jamais été autant divisées qu’en ce moment. Ce n’est pas dans un tel contexte qu’on peut organiser une convention nationale susceptible de décider d’une feuille de route pour sortir d’une crise profonde et multiforme.
Slate Afrique - Des affrontements sont-ils à craindre entre différentes factions de l’armée?
G.Y. - Les affrontements ont déjà eu lieu entre factions de l’armée en pleine ville et cela fut un choc pour les populations de Bamako, une des villes les plus tranquilles en Afrique de l’Ouest. Pour des personnes comme moi qui ont vécu il n’y a pas si longtemps à Bamako, ces affrontements armés ont aussi représenté une tragédie à laquelle il fallait mettre fin au plus vite. Le coup d’Etat a ouvert la porte à toutes les dérives et on ne peut plus rien exclure, y compris de nouvelles tensions au sein de l’armée susceptibles de dégénérer en confrontations violentes.
On peut espérer que la clarification institutionnelle permette de réduire significativement ce risque en créant les conditions d’une remise sur pied de la chaîne de commandement des armées. L’attaque violente ce 21 mai sur le président intérimaire, alors qu’il était dans son bureau, est cependant l’illustration que tout est désormais possible au Mali, y compris le pire.
Slate Afrique - Le Sud du Mali est-il lui aussi menacé de fragmentation?
G.Y. - Le risque n’est pas celui d’une fragmentation semblable à ce qui se passe dans le nord, avec la présence de divers groupes armés contrôlant des villes, des quartiers de ville et des villages. Au sud, la menace est celle d’un effondrement de l’Etat à la fois dans sa légitimité et dans sa capacité à offrir aux populations la sécurité et les services sociaux et économiques de base. La perte de contrôle total des trois régions du nord et le coup d’Etat Bamako ont dramatiquement fragilisé l’édifice étatique malien. C’est la remise sur pied rapide de l’Etat qui est aujourd’hui prioritaire parce qu’aucun début de solution à la crise du nord ne peut être trouvé dans un contexte de grande faiblesse et de divisions des autorités civiles et militaires de l’Etat central.
Slate Afrique - Assiste-t-on aussi à une montée de l’islamisme radical dans le Sud du Mali ?
G.Y. - Il faut être prudent et précis lorsque l’on parle de l’islamisme radical parce qu’il y a une tendance à confondre des courants islamiques très variés coexistant sur les mêmes territoires, qui défendent des pratiques religieuses différentes et recourent à des moyens différents pour diffuser ou imposer leurs visions.
La justification ou non du recours à la force dans cet objectif est un des facteurs discriminants entre ces groupes. Tous les mouvements islamistes radicaux ne prônent pas l’usage de la violence. Au Mali, au nord comme au sud, des groupes se réclamant chacun d’un Islam plus authentique que l’autre, tentent depuis des années de «convertir» les musulmans à des pratiques spécifiques, allant généralement dans le sens d’une application rigoureuse sinon littérale de la charia (loi islamique).
Au Mali comme dans beaucoup de pays africains à dominante musulmane ou chrétienne, des prêcheurs venus d’ailleurs se sont progressivement implantés. C’est aussi une dimension de la mondialisation, généralement ignorée. Au nord du Mali, un rapport de Crisis Group soulignait en 2005 l’activité de prêcheurs pakistanais du courant Jama’at Al-Tabligh (ou Da’wa) d’origine asiatique. L’ancien rebelle touareg aujourd’hui chef d’Ansar Dine Iyad Ag Ghali était devenu le leader spirituel des Tablighis au Mali.
Il faut donc comprendre que l’agenda islamiste – dans le sens de la diffusion d’une nouvelle manière pour des populations musulmanes de vivre au quotidien leur foi - n’est pas apparu subitement au nord du Mali. Cela est vrai aussi au sud. Des courants importés d’ailleurs, que ce soit du Pakistan ou de l’Arabie saoudite, influencent les dynamiques religieuses locales et conduisent à la modification des pratiques de groupes de plus en plus importants au sein de la communauté musulmane, dans un sens plus conservateur, et pour certains, dans un extrémisme qui peut tolérer l’usage de la violence pour imposer leur vision de l’Islam.
Là encore, il faut décrypter les évolutions de la société malienne dans le domaine religieux de manière fine et faire la distinction entre la montée probable d’un conservatisme religieux et celle, peu probable, d’un extrémisme flirtant avec la violence. Il faut rappeler que la mobilisation organisée par le Haut conseil islamique du Mali à Bamako contre un projet de code de la famille jugé trop progressiste et contraire aux valeurs traditionnelles de la société malienne avait poussé le gouvernement et le parlement à reculer, au grand dam des organisations de défense des droits des femmes… et de l’Homme.
Ce signe d’une puissante capacité de mobilisation d’une masse de personnes sur le thème de l’Islam – un grand stade de Bamako avait été rempli par des manifestants à l’appel du Haut Conseil - traduit la force du conservatisme mais ne signifie pas par exemple qu’il y aurait une demande ou un désir d’imposition de la charia dans le sud du Mali.
Slate Afrique - Les hommes du capitaine Sanogo affichent leur volonté de «nettoyer» la société et de lutter contre la corruption. Mais sont-ils eux-mêmes irréprochables? Certains d’entre ne sont-ils pas déjà impliqués dans des trafics?
G.Y. - Chaque fois qu’un coup d’Etat est perpétré dans la région, ses auteurs proclament leur volonté de sauver la nation de la décadence incarnée par le régime destitué et se présentent comme les seuls qui soient du côté des masses exploitées par la classe dirigeante des années précédentes. Il n’y a donc rien de surprenant et de nouveau dans le discours politique de la junte malienne. Sont-ils irréprochables? Je n’en sais rien.
De fait, ceux qui jouent les premiers rôles dans la junte n’étaient pas dans des positions au sein de l’armée leur permettant de bénéficier des opportunités d’enrichissement qui s’offraient aux anciens chefs. Mais cela constitue-t-il un gage d’intégrité à toute épreuve? Comment distingue-t-on ceux qui condamnent la corruption et l’enrichissement illicite des dirigeants civils et militaires parce qu’ils abhorrent l’accaparement des ressources du pays et défendent une rupture réelle dans le mode de gouvernance de ceux qui ne sont contre la corruption et le laxisme parce qu’ils ont été exclus du cercle des profiteurs?
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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