Article
publié le 21 mars 2014 sur le site African Futures : http://forums.ssrc.org/african-futures/2014/03/21/partie-ii-la-democratie-de-langoisse-lafrique-de-louest-et-ses-six-elections-presidentielles-de-2014-2015/
Dans la première
partie de cet article, l’auteur a décrit le contexte politique dans lequel se
dérouleront les élections présidentielles dans les six pays d’Afrique de
l’Ouest concernés par ces scrutins souvent à haut risque cette année et en
2015. Il a examiné en particulier l’intensité anticipée de la compétition
électorale dans chacun des pays, un des trois éléments d’appréciation des
risques de violence. Dans cette deuxième partie, il s’interroge sur le contexte
sécuritaire actuel des différents pays et sur l’environnement institutionnel
qui devra encadrer les processus électoraux.
Lorsqu’on s’intéresse au contexte sécuritaire général, un
deuxième élément d’appréciation capital pour une analyse approximative des
risques liés aux élections présidentielles à venir, il n’y a pas de quoi être
rassuré. Parmi les déterminants principaux du contexte sécuritaire, on peut
s’appesantir sur l’existence ou non dans le pays de groupes armés rebelles ou
ex-rebelles, le degré de contrôle politique et d’intégrité professionnelle des
forces de sécurité et des forces armées, le niveau d’alignement des affinités
politiques avec l’appartenance ethnique et régionale, les conditions pacifiques
ou non des élections présidentielles les plus récentes ainsi que l’ampleur et
la forme de l’implication politique et/ou sécuritaire d’acteurs extérieurs
importants.
Le Nigeria apparaît sans conteste comme l’environnement
sécuritaire le plus fragile. L’élection de 2015 va se dérouler dans un pays
déjà aux prises avec le groupe terroriste Boko Haram au Nord-Est, un pays qui
abrite également des groupes armés organisés dans le Delta du Niger aussi
prompts à soutenir politiquement qu’à exercer des pressions sur le président
Jonathan lui-même issu de cette région du South-South,
et un pays qui connaît des niveaux élevés de violence combinant des dimensions
politiques, économiques, ethniques et religieuses dans le Middle Belt (centre
du pays) et ailleurs sur le territoire. La fédération nigériane est aussi
habituée à des lendemains d’élection meurtriers, comme ce fut le cas en 2011,
alors même que le scrutin avait été jugé mieux organisé et plus crédible que
tous les précédents.
Plus de 800 personnes avaient été tuées en trois jours d’émeutes
et de furie dans douze Etats du nord de la fédération, l’élément déclencheur
ayant été la défaite du candidat nordiste Muhammadu Buhari face à Jonathan. Le
Nigeria n’avait pas besoin du terrorisme de Boko Haram pour atteindre de tels
niveaux de violences mettant aux prises des concitoyens entre eux, avec certes
une dose de spontanéité mais aussi un degré certain de préparation des esprits
à la violence par des entrepreneurs politico-ethniques et des extrémistes religieux.
Dans la perspective de 2015, le chantage à la violence a déjà commencé dans le
pays, animé aussi bien par des groupes de militants du « si Jonathan n’est
pas réélu, ce sera le chaos » que par ceux du « si Jonathan est
réélu, ce sera le chaos ». Quand on ajoute à cette préparation mentale le
très faible degré de confiance des populations nigérianes dans l’intégrité et
le professionnalisme des forces de sécurité, la crainte d’un sombre début
d’année 2015 dans la grande puissance de l’Afrique de l’Ouest paraît fort légitime.
La Guinée, du fait du prolongement ethno-régional de la
polarisation politique et du passif de violences, est également très fragile du
point de vue sécuritaire. Il convient de reconnaître les progrès indéniables
qui ont été faits sous la présidence Condé dans la réforme du secteur de la
sécurité qui se traduit par une amélioration de la capacité des forces de
l’ordre à contenir des manifestations de rue sans tuer en une seule journée
plusieurs dizaines de personnes. Ce n’est plus l’époque de Lansana Conté ou
celle de Dadis Camara mais on n’est encore très loin d’un comportement
exemplaire des forces de sécurité et d’une neutralité politique des
responsables du maintien de l’ordre et de la haute administration territoriale.
Les différentes manifestations qui avaient rythmé la longue et difficile marche
vers les élections législatives de septembre dernier s’étaient tout de même
traduites par des violences parfois meurtrières. On peut déjà anticiper un
face-à-face explosif entre manifestants de l’opposition et forces de sécurité
lorsque sera engagé le processus menant à l’élection présidentielle.
Le contexte sécuritaire n’est pas particulièrement rassurant non
plus en Guinée Bissau et en Côte d’Ivoire. Dans le premier pays, les chefs de
l’armée se sont toujours considérés autonomes par rapport au pouvoir politique
civil et on parle de réforme du secteur de la sécurité depuis une dizaine
d’années sans avoir jamais réussi à l’enclencher. En Côte d’Ivoire, des efforts
significatifs ont été faits pour gérer les conséquences catastrophiques du
conflit armé postélectoral de 2011, mais il faudra encore quelques années pour
doter le pays de forces de défense et de sécurité cohérentes, efficaces et
politiquement neutres. L’héritage difficile des années de rébellion et de
conflit risque de peser lourdement dans l’environnement sécuritaire et les
développements politiques… après l’élection de 2015. Aussi bien en Guinée
Bissau qu’en Côte d’Ivoire, la présence d’acteurs extérieurs mandatés pour le
maintien de la paix, la mission militaire de la CEDEAO (ECOMIB) et l’Opération
des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) respectivement, est un facteur
d’apaisement relatif.
Le positionnement politique des forces de défense et de sécurité
et le maintien de leur unité sont des éléments d’incertitude qui pèsent sur le
contexte sécuritaire au Burkina Faso qui a connu de violentes mutineries en
2011. Impossible de savoir comment l’armée burkinabè et les différentes
générations qui la composent vivent actuellement la situation inédite
d’incertitude politique sur l’après 2015.
Les hauts responsables militaires dont beaucoup ont été nommés au
lendemain des mutineries de 2011 pour reprendre en main ce pilier essentiel du
pouvoir de Compaoré considèrent-ils leur sort lié au maintien de ce dernier au
palais présidentiel après 2015 ? Comment les officiers les plus proches du
président qui l’ont accompagné depuis les premières années d’un régime alors
très brutal appréhendent-ils l’avenir ? Beaucoup de questions et peu de
réponses, ce qui ne devrait pas atténuer l’angoisse des Burkinabè et de nombre
de leurs voisins ouest-africains. Au Togo, la question du positionnement
politique des forces de sécurité et de l’armée se pose beaucoup moins : le
verrouillage sécuritaire par le pouvoir de Lomé semble résister à l’usure du
temps.
Il convient enfin de s’interroger sur le cadre institutionnel
dans lequel se dérouleront les scrutins présidentiels dans les différents pays.
Ce cadre désigne ici l’ensemble des règles, procédures, institutions qui sont
mobilisées du début à la fin du processus électoral et qui jouent un rôle
déterminant dans la crédibilité des scrutins, en particulier celle des
résultats définitifs qui désignent le vainqueur. Si la crédibilité du processus
électoral n’est pas une garantie d’absence de crise et de violences, la
perception d’un déficit important de crédibilité est quasiment toujours un
déclencheur de troubles. De plus, lorsque l’élection présidentielle se passe
dans un pays dont l’environnement sécuritaire est déjà fragile et dans le
contexte d’une intense compétition pour le pouvoir, la crédibilité du cadre
institutionnel régentant l’élection peut être décisive pour sauver le pays d’un
basculement quasiment certain dans une crise postélectorale.
Il ne faudra pas trop compter sur cela. Partout, les
dispositions des lois électorales, les conditions d’établissement des fichiers
d’électeurs, la neutralité politique et la compétence technique des
institutions chargées d’organiser les élections et d’examiner les éventuels
recours font l’objet de controverses. Aucun des pays concerné par une élection
présidentielle en 2014 ou 2015 n’est un modèle dans la région en matière
d’organisation de scrutins libres, transparents et crédibles. Certains ont
accompli, à l’instar du Nigeria, des progrès notables en la matière au cours
des dernières années, mais ils sont tous encore loin, bien loin, des modèles en
Afrique de l’Ouest que sont le Ghana, le Cap-Vert et le Sénégal où des
commissions électorales et/ou d’autres dispositifs et institutions ont su gérer
et crédibiliser des élections parfois très compétitives.
Au Nigeria, nombre de réformes qui avaient été recommandées par
les experts au lendemain des élections générales de 2011, certes mieux
organisées que les précédentes, pour corriger les plus graves failles du
système n’ont pas été mises en œuvre. En Guinée, il a fallu des médiations, une
forte implication technique internationale et un accord politique âprement
négocié pour arriver à organiser des élections législatives en septembre 2013.
La liste des tâches à accomplir pour rendre le dispositif électoral plus
crédible pour la présidentielle de 2015 est très longue. Elle comprend
l’établissement d’un nouveau fichier électoral et la mise en place d’une
institution cruciale comme la Cour constitutionnelle qui doit remplacer la Cour
suprême dans le rôle de juge ultime du contentieux électoral. Même en Côte
d’Ivoire, où l’actuel président avait promis une révision de la Constitution,
rien n’a été fait pour fermer la page des dispositions spéciales issues des
accords de paix et doter le pays d’un nouveau cadre électoral et d’un mode de
composition de la commission électorale indépendante susceptible de créer
davantage de confiance de la part de tous les acteurs politiques.
On ne peut, en guise de conclusion, que donner raison aux
citoyens d’Afrique de l’Ouest déjà angoissés à l’approche des échéances
électorales à venir. Lorsqu’on prend en compte simultanément les trois éléments
d’appréciation, aucun des pays ne sera à l’abri de tensions fortes susceptibles
de dégénérer en violences plus ou moins graves. En prenant le risque de se
tromper, - qui peut vraiment prévoir tous les scénarios possibles dans chacun
de ces pays plusieurs mois avant les différents scrutins ? -, il est
raisonnable de classer le Nigeria et la Guinée dans une catégorie de pays à
très haut risque, le Burkina Faso dans une catégorie de pays à haut risque et
la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Togo dans une catégorie de pays à
risque modéré, ce qualificatif ne voulant surtout pas dire « faible »
ou « inexistant ».
Les élections calamiteuses ne sont pas cependant des
catastrophes naturelles imprévisibles et inévitables. Les citoyens de chacun
des pays concernés, la CEDEAO et les acteurs internationaux importants ont les
moyens de dompter l’angoisse par une forte mobilisation pour prévenir des
crises violentes. Mais il y a aussi un risque à appréhender les élections
uniquement ou principalement comme des moments de danger d’implosion des Etats,
et à ne rechercher que des élections sans violence. Cela revient souvent, pour
les organisations régionales et internationales, à préférer la manipulation des
processus électoraux au profit du camp le plus puissant, et donc le plus à même
de provoquer le chaos en cas de défaite, à des scrutins réellement ouverts à
l’issue incertaine. Le risque est celui d’oublier et de faire oublier à quoi
devraient servir les rituels électoraux dans des démocraties jeunes et
fragiles : à ancrer petit à petit une culture démocratique dans la
société. Si les populations doivent continuer à aller voter tous les quatre ou
cinq ans, la peur au ventre, c’est l’adhésion populaire à l’idéal démocratique
en Afrique de l’Ouest qui finira par être menacée.
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