Le quidam qui débarque à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan n’a pas le sentiment de fouler le sol d’un pays en situation de ni paix, ni guerre, ni élection depuis huit ans. L’aéroport est sobre, propre et fonctionnel. Les agents de la police aux frontières sont plutôt courtois et il n’y a point de paranoïa sécuritaire qui saute aux yeux du visiteur. L’impression de normalité peut durer au-delà du tarmac, nourrie par l’animation du quartier d’affaires du Plateau dans la journée et par l’ambiance festive des quartiers chauds une fois la nuit tombée.
Et pourtant. Aucun des problèmes de fond de la crise ivoirienne, qui a pris la tournure d’une guerre civile intermittente de 2002 à 2003, et même d’une mini-guerre avec la France de Jacques Chirac hostile au président Laurent Gbagbo en novembre 2004, n’a été résolu par un processus de paix interminable. C’est que la majeure partie des acteurs politiques et militaires ivoiriens -ceux dont les opinions et les actes peuvent influencer le calendrier et les modalités de sortie de crise-, se sont formidablement adaptés à la situation incongrue du pays.
Normalisation redoutée par certains
Nombreux sont ceux à s’être enrichis de façon considérable à chacune des phases de la crise politique, et qui redoutent aujourd’hui une réelle normalisation synonyme d’organisation d’une élection présidentielle et de législatives, d’une restauration effective de l’autorité de l’État sur tout le territoire et de la disparition de toutes les pratiques malsaines que chacun justifie par « la crise ».
L’élection présidentielle, reportée systématiquement depuis cinq ans, vient finalement d’être programmée pour le 31 octobre prochain. Mais les réclamations actuelles concernant les listes électorales définitives, sur lesquelles de nombreux votants fictifs seraient inscrits, pourront-elles être traitées à temps ? Rien n’est moins sûr.
Le président Gbagbo, élu en octobre 2000, tient solidement les rênes à Abidjan et dispose de deux armes essentielles en tant que chef d’État en exercice, certes de moins en moins légitime : l’autorité sur les forces de défense et de sécurité et la puissance financière liée à la fonction présidentielle et au maintien de la capacité de l’économie ivoirienne à créer des richesses malgré tout.
S’il n’est pas certain de gagner l’élection -et rien n’indique qu’il le soit-, le président n’a aucune raison de se presser d’y aller. Le Premier ministre nommé depuis 2007 en vertu d’un accord de paix, Guillaume Soro, qui a mené la rébellion armée contre Gbagbo, donne le sentiment de faire ce qu’il peut en tant que chef de gouvernement pour organiser le scrutin dès que possible, mais lui non plus n’a aucune raison de se précipiter vers un avenir incertain.
Quant aux deux principaux adversaires déclarés de Gbagbo, l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara et l’ancien président Henri Konan Bédié, ils sont certes davantage pressés d’aller aux urnes que le sortant mais ils avaient peu de prise sur le calendrier. Et eux aussi, ainsi que les cadres de leurs partis politiques, font partie de cette élite dont la vie quotidienne plus que confortable ne pousse pas à une folle audace.
Despotisme éclairé d’Houphouët-Boigny
Au moment de faire le bilan du cinquantenaire de l’indépendance le 7 août 2010, la classe politique des années 1990-2010 ne peut que méditer sur l’état lamentable dans lequel elle a collectivement mené ce pays de cocagne. Les responsabilités individuelles sont différentes d’un acteur à l’autre, mais le résultat est là : ils ont détruit avec obstination ce que le despotisme cynique, couvé par la France, mais éclairé de Félix Houphouët-Boigny avait fait de la Côte d’Ivoire en 33 ans de pouvoir.
L’essentiel des infrastructures publiques qui placent aujourd’hui encore ce pays devant tous ses voisins francophones date des deux premières décennies de prospérité de l’ère du « Vieux ». La relative qualité des ressources humaines dans l’administration et dans le secteur privé est aussi le résultat des investissements massifs faits à l’époque dans le système éducatif, de la politique d’attraction des cadres formés dans le pays et à l’étranger et des incitations qui ont encouragé l’enrichissement individuel par le travail.
Gâchis africain du dernier demi-siècle
La déliquescence de l’économie, la remise en cause brutale du contrat qui permettait la cohabitation pacifique sur le sol ivoirien des différentes communautés ethniques nationales et de celles issues de l’immigration ouest-africaine, la montée des violences politiques au début des années 1990, l’installation de la culture de la distribution de prébendes pour acheter la tranquillité politique et sociale ont tous commencé sous le règne d’Houphouët-Boigny.
Le père de la nation a donc sa part de responsabilité dans la décadence qui a suivi son décès. Mais les nouveaux maîtres de la maison Ivoire, toujours première productrice mondiale de cacao, auraient pu et auraient dû bâtir sur les aspects positifs du bilan du « Vieux » et liquider les tares de sa gouvernance.
Lorsqu’affleurera l’impact réel de la bataille des dirigeants ivoiriens pour la présidence au cours des quinze dernières années, - celui de la banalisation de la violence, de la criminalisation de l’État, de l’abandon des campus universitaires à une organisation étudiante mafieuse, du sacrifice des investissements publics, des excès dans toutes les formes de corruption-, les lumières du Plateau, les coquettes villas des quartiers huppés, les boîtes de nuit délurées du secteur des expatriés français, les douzaines de bières alignées sur les tables des « maquis » et la très dansante musique ivoirienne ne suffiront plus à cacher l’un des plus énormes gâchis africains du dernier demi-siècle.
(Publié sur infosud.org le 6 août 2010)
samedi 7 août 2010
jeudi 5 août 2010
Après la révolution et les coups tordus, le nouveau rôle du Burkina Faso
Il était jeune, charmant et fougueux. Provocateur, il n’hésitait pas à défier les usages diplomatiques en disant tout haut ce que les chefs d’Etat des pays pauvres et faibles pensaient tout bas, mais n’osaient jamais énoncer dans un discours officiel. Et bien que le capitaine Sankara n’ait présidé l’ancienne Haute-Volta - qu’il a renommée Burkina Faso - que pendant quatre ans, entre août 1984 et octobre 1987, il reste la figure la plus marquante de l’histoire de cet Etat sahélien d’Afrique de l’ouest.
En réalité, les festivités officielles ont été reportées au mois de décembre prochain afin de permettre l’achèvement de la vaste entreprise de constructions et d’embellissement engagée dans la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso, qui a été choisie pour abriter l’évènement. Si Thomas Sankara reste l’icône inoubliable du « pays des hommes intègres », traduction littérale de Burkina Faso, son successeur et actuel président, Blaise Compaoré, paraît bien parti pour s’imposer dans les mémoires comme un bâtisseur qui aura fait progresser son pays dans les domaines économique, social et culturel.
Révolution militarisée
Les deux amis et frères d’armes au sein des commandos parachutistes Sankara et Compaoré ont presque fait oublier leurs prédécesseurs depuis l’indépendance. Lorsqu’ils prennent le pouvoir le 4 août 1983, avec d’autres jeunes officiers, ils affichent la volonté de rompre radicalement avec la corruption et l’inefficacité économique et sociale des régimes précédents, mais aussi avec leur trop grande dépendance à l’égard de l’ancienne puissance colonisatrice, la France.
Mais la réalité quotidienne sous la révolution militarisée était certes moins agréable pour les populations burkinabè qu’on le pensait de l’extérieur. Néanmoins, le charisme et le volontarisme de Sankara séduisent les jeunes générations sur tout le continent. Le choc est donc immense le 15 octobre 1987, lorsque Sankara se fait brutalement tuer dans l’enceinte du palais présidentiel. Un coup d’Etat mené par le numéro deux du régime révolutionnaire, Compaoré, qui prend le pouvoir et préside toujours aux destinées du pays.
Compaoré, calculateur et insaisissable
Seul maître à bord, Compaoré passe haut la main l’épreuve de la transition au multipartisme et se mue en président démocratiquement élu, et réélu sans souci depuis 1991. Candidat à l’élection présidentielle prévue en novembre prochain, il devrait rempiler pour un mandat de cinq ans, l’ultime si la constitution ne venait pas à être modifiée entre-temps pour l’autoriser à se présenter à nouveau en 2015.
Signe de l’emprise de cet homme intelligent, calculateur et insaisissable sur son pays, le débat politique, à trois mois de l’échéance présidentielle de 2010, est focalisé sur l’élection de… 2015 et l’éventuel départ du chef d’Etat qui aura alors bouclé 28 ans au pouvoir. Le Burkina Faso ne s’est pas transformé de pays aride dépourvu de gisements miniers exceptionnels en eldorado - il reste classé parmi les pays les plus pauvres du monde -, mais il a fait d’indéniables progrès qui ont nettement amélioré son image et son statut en Afrique de l’ouest.
L’ardeur au travail de ses femmes et de ses hommes, dans cet ordre, ainsi qu’une passion pour les arts qu’illustre le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), créé en 1969 et maintenu à flot depuis lors par la volonté collective des Burkinabè, en dépit de la rareté des ressources, constituent les principaux moteurs de ces progrès.
Rôle trouble dans la région
Compaoré a fait jouer à son pays un rôle trouble dans la région, en soutenant discrètement des groupes armés qui ont participé aux guerres civiles au Liberia, en Sierra Leone au début des années 1990, puis en Côte d’Ivoire en septembre 2002. Dans le bras de fer diplomatique engagé depuis 2002 entre la Côte d’Ivoire, locomotive économique de l’espace ouest-africain francophone grippée depuis deux décennies, et le Burkina Faso démuni et considéré depuis l’époque coloniale comme un fournisseur de main d’œuvre agricole bon marché à sa voisine du sud, c’est le pays sahélien qui l’a emporté.
Directement mis en cause par le chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo au début du conflit, Compaoré a réussi le tour de force de devenir le « facilitateur » du dialogue inter-ivoirien en 2007. L’enfant terrible de l’Afrique de l’ouest en est désormais le faiseur de paix recherché pour toutes les médiations difficiles, du Togo à la Guinée. Ses compatriotes espèrent qu’il ne prendra pas le risque de détruire sa nouvelle image internationale en s’accrochant au pouvoir au-delà de 2015, et attendent de lui la préparation d’une succession démocratique et pacifique.
En réalité, les festivités officielles ont été reportées au mois de décembre prochain afin de permettre l’achèvement de la vaste entreprise de constructions et d’embellissement engagée dans la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso, qui a été choisie pour abriter l’évènement. Si Thomas Sankara reste l’icône inoubliable du « pays des hommes intègres », traduction littérale de Burkina Faso, son successeur et actuel président, Blaise Compaoré, paraît bien parti pour s’imposer dans les mémoires comme un bâtisseur qui aura fait progresser son pays dans les domaines économique, social et culturel.
Révolution militarisée
Les deux amis et frères d’armes au sein des commandos parachutistes Sankara et Compaoré ont presque fait oublier leurs prédécesseurs depuis l’indépendance. Lorsqu’ils prennent le pouvoir le 4 août 1983, avec d’autres jeunes officiers, ils affichent la volonté de rompre radicalement avec la corruption et l’inefficacité économique et sociale des régimes précédents, mais aussi avec leur trop grande dépendance à l’égard de l’ancienne puissance colonisatrice, la France.
Mais la réalité quotidienne sous la révolution militarisée était certes moins agréable pour les populations burkinabè qu’on le pensait de l’extérieur. Néanmoins, le charisme et le volontarisme de Sankara séduisent les jeunes générations sur tout le continent. Le choc est donc immense le 15 octobre 1987, lorsque Sankara se fait brutalement tuer dans l’enceinte du palais présidentiel. Un coup d’Etat mené par le numéro deux du régime révolutionnaire, Compaoré, qui prend le pouvoir et préside toujours aux destinées du pays.
Compaoré, calculateur et insaisissable
Seul maître à bord, Compaoré passe haut la main l’épreuve de la transition au multipartisme et se mue en président démocratiquement élu, et réélu sans souci depuis 1991. Candidat à l’élection présidentielle prévue en novembre prochain, il devrait rempiler pour un mandat de cinq ans, l’ultime si la constitution ne venait pas à être modifiée entre-temps pour l’autoriser à se présenter à nouveau en 2015.
Signe de l’emprise de cet homme intelligent, calculateur et insaisissable sur son pays, le débat politique, à trois mois de l’échéance présidentielle de 2010, est focalisé sur l’élection de… 2015 et l’éventuel départ du chef d’Etat qui aura alors bouclé 28 ans au pouvoir. Le Burkina Faso ne s’est pas transformé de pays aride dépourvu de gisements miniers exceptionnels en eldorado - il reste classé parmi les pays les plus pauvres du monde -, mais il a fait d’indéniables progrès qui ont nettement amélioré son image et son statut en Afrique de l’ouest.
L’ardeur au travail de ses femmes et de ses hommes, dans cet ordre, ainsi qu’une passion pour les arts qu’illustre le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), créé en 1969 et maintenu à flot depuis lors par la volonté collective des Burkinabè, en dépit de la rareté des ressources, constituent les principaux moteurs de ces progrès.
Rôle trouble dans la région
Compaoré a fait jouer à son pays un rôle trouble dans la région, en soutenant discrètement des groupes armés qui ont participé aux guerres civiles au Liberia, en Sierra Leone au début des années 1990, puis en Côte d’Ivoire en septembre 2002. Dans le bras de fer diplomatique engagé depuis 2002 entre la Côte d’Ivoire, locomotive économique de l’espace ouest-africain francophone grippée depuis deux décennies, et le Burkina Faso démuni et considéré depuis l’époque coloniale comme un fournisseur de main d’œuvre agricole bon marché à sa voisine du sud, c’est le pays sahélien qui l’a emporté.
Directement mis en cause par le chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo au début du conflit, Compaoré a réussi le tour de force de devenir le « facilitateur » du dialogue inter-ivoirien en 2007. L’enfant terrible de l’Afrique de l’ouest en est désormais le faiseur de paix recherché pour toutes les médiations difficiles, du Togo à la Guinée. Ses compatriotes espèrent qu’il ne prendra pas le risque de détruire sa nouvelle image internationale en s’accrochant au pouvoir au-delà de 2015, et attendent de lui la préparation d’une succession démocratique et pacifique.
mardi 3 août 2010
Niger : une indépendance minée par l’économie de rente
Niamey a renoncé à toute cérémonie fastueuse pour le 50e anniversaire de l’indépendance du Niger, un pays frappé par une crise alimentaire. Près d’un quart des 13 millions de Nigériens a du mal à trouver chaque jour de quoi se nourrir.
Le président Salou Djibo, chef de la junte militaire qui dirige ce pays sahélien depuis février 2010, n’a pas préféré comme son prédécesseur Mamadou Tandja courir le risque de laisser mourir en silence ses compatriotes affamés plutôt que de faire appel à l’aide étrangère, au nom d’une curieuse idée de la dignité d’un pays souverain. Le général Djibo et le gouvernement de transition ont vite reconnu que le Niger affronte cette année une crise alimentaire grave, susceptible de se transformer en famine dans certaines régions si rien n’est fait par l’Etat et ses partenaires internationaux. Devoir lutter contre la faim cinquante ans après la proclamation de l’indépendance suffit à caractériser le bilan d’étape de la vie de cette nation, qui occupe un immense territoire largement désertique entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest.
Deuxième producteur mondial d’uranium
La nature n’a pas fait cadeau au Niger de terres arables abondantes ni des conditions climatiques qui verdissent tout au long de l’année ses voisins du sud, Bénin, Nigeria et les autres pays côtiers de la région. Les contraintes naturelles au développement de l’agriculture et de l’élevage ne sont cependant pas une explication convaincante de la récurrence des crises alimentaires dans le pays et de la grande pauvreté qui y sévit. D’autant plus que cette nature a gratifié le sous-sol du désert nigérien d’uranium, minerai stratégique dont ce pays très pauvre est le deuxième producteur mondial.
L’empire colonial français n’aura finalement pas fait une mauvaise affaire en plantant son drapeau sur ce territoire a priori peu hospitalier. La France n’a pas tardé à repérer les exceptionnels gisements d’uranium du pays et à garantir que l’indépendance, accordée le 3 août 1960, ne changerait rien à son privilège d’accès à cette ressource précieuse pour le développement de son industrie nucléaire. Si l’ancienne puissance colonisatrice a fort bien su comment transformer l’uranium nigérien en énergie électrique pour ses populations, les dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays n’ont pas su transformer l’économie du pays, demeurée rentière, rurale et peu productive.
Les Nigériens ont « faim »
Le fait que le Niger célèbre le cinquantenaire de son indépendance sous un régime d’exception est une illustration de l’histoire politique tourmentée du pays. Le putsch du 18 février 2010 restera peut-être dans les mémoires comme un « bon coup d’Etat » parmi les nombreux qu’a connus Niamey. Le premier du genre a mis un terme en 1974 aux quatorze ans de pouvoir du père de l’indépendance Hamani Diori. Le lieutenant-colonel Seyni Kountché prend alors solidement les rênes du pays et ne les lâche pas avant sa mort en 1987. Son successeur galonné cède face à la montée des revendications démocratiques qui secouent l’ouest africain au début des années 1990. Le premier président élu de l’ère du multipartisme ne finit pas son mandat, chassé par un coup d’Etat en 1996. Le pays fait son retour à la démocratie en élisant en 1999 un colonel retraité comme président, Mamadou Tandja.
C’est en décidant envers et contre tout de se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat constitutionnel que Tandja, oublieux de l’histoire de son pays et trop sûr de son contrôle de l’armée, s’est fait éjecter du fauteuil présidentiel en février dernier. Il est toujours en résidence surveillée en août 2010 et compte désormais sur la magnanimité du président de la transition. Salou Djibo a promis de remettre le pouvoir à un président élu démocratiquement avant mars 2011. En attendant, le Niger dont la croissance démographique est l’une des plus fortes du continent, a faim. Hélas, comme trop souvent au cours des cinq dernières décennies.
(Publié sur infosud.org le 3 août 2010)
Le président Salou Djibo, chef de la junte militaire qui dirige ce pays sahélien depuis février 2010, n’a pas préféré comme son prédécesseur Mamadou Tandja courir le risque de laisser mourir en silence ses compatriotes affamés plutôt que de faire appel à l’aide étrangère, au nom d’une curieuse idée de la dignité d’un pays souverain. Le général Djibo et le gouvernement de transition ont vite reconnu que le Niger affronte cette année une crise alimentaire grave, susceptible de se transformer en famine dans certaines régions si rien n’est fait par l’Etat et ses partenaires internationaux. Devoir lutter contre la faim cinquante ans après la proclamation de l’indépendance suffit à caractériser le bilan d’étape de la vie de cette nation, qui occupe un immense territoire largement désertique entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest.
Deuxième producteur mondial d’uranium
La nature n’a pas fait cadeau au Niger de terres arables abondantes ni des conditions climatiques qui verdissent tout au long de l’année ses voisins du sud, Bénin, Nigeria et les autres pays côtiers de la région. Les contraintes naturelles au développement de l’agriculture et de l’élevage ne sont cependant pas une explication convaincante de la récurrence des crises alimentaires dans le pays et de la grande pauvreté qui y sévit. D’autant plus que cette nature a gratifié le sous-sol du désert nigérien d’uranium, minerai stratégique dont ce pays très pauvre est le deuxième producteur mondial.
L’empire colonial français n’aura finalement pas fait une mauvaise affaire en plantant son drapeau sur ce territoire a priori peu hospitalier. La France n’a pas tardé à repérer les exceptionnels gisements d’uranium du pays et à garantir que l’indépendance, accordée le 3 août 1960, ne changerait rien à son privilège d’accès à cette ressource précieuse pour le développement de son industrie nucléaire. Si l’ancienne puissance colonisatrice a fort bien su comment transformer l’uranium nigérien en énergie électrique pour ses populations, les dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays n’ont pas su transformer l’économie du pays, demeurée rentière, rurale et peu productive.
Les Nigériens ont « faim »
Le fait que le Niger célèbre le cinquantenaire de son indépendance sous un régime d’exception est une illustration de l’histoire politique tourmentée du pays. Le putsch du 18 février 2010 restera peut-être dans les mémoires comme un « bon coup d’Etat » parmi les nombreux qu’a connus Niamey. Le premier du genre a mis un terme en 1974 aux quatorze ans de pouvoir du père de l’indépendance Hamani Diori. Le lieutenant-colonel Seyni Kountché prend alors solidement les rênes du pays et ne les lâche pas avant sa mort en 1987. Son successeur galonné cède face à la montée des revendications démocratiques qui secouent l’ouest africain au début des années 1990. Le premier président élu de l’ère du multipartisme ne finit pas son mandat, chassé par un coup d’Etat en 1996. Le pays fait son retour à la démocratie en élisant en 1999 un colonel retraité comme président, Mamadou Tandja.
C’est en décidant envers et contre tout de se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat constitutionnel que Tandja, oublieux de l’histoire de son pays et trop sûr de son contrôle de l’armée, s’est fait éjecter du fauteuil présidentiel en février dernier. Il est toujours en résidence surveillée en août 2010 et compte désormais sur la magnanimité du président de la transition. Salou Djibo a promis de remettre le pouvoir à un président élu démocratiquement avant mars 2011. En attendant, le Niger dont la croissance démographique est l’une des plus fortes du continent, a faim. Hélas, comme trop souvent au cours des cinq dernières décennies.
(Publié sur infosud.org le 3 août 2010)
lundi 2 août 2010
Un « Madoff » à la sauce béninoise
Considéré comme un modèle de démocratie sur le continent africain, le Bénin voit son président éclaboussé par un vaste scandale financier, de mauvais augure à quelques mois des élections. Mais alors que le pays fête ses 50 ans d’indépendance, cette affaire révèle surtout une grave crise morale et politique.
Quelques mois avant la fête de l’Indépendance du 1er août, l’état d’avancement des chantiers -pourtant modestes- lancés dans la capitale politique du Bénin, Porto-Novo, n’a pu que susciter inquiétudes et dépit. A croire que l’extraordinaire difficulté à faire, à bien faire, et à respecter les délais prévus pour la moindre réalisation publique d’envergure est peut-être le meilleur révélateur de l’absence d’un lien automatique entre démocratie d’une part et bonne gouvernance et décollage économique de l’autre.
Terre de royaumes puissants et de résistance héroïque à l’entreprise coloniale française, le Dahomey – qui sera renommé Bénin en 1975 -, s’est longtemps enorgueilli de son étiquette de « quartier latin de l’Afrique », bon élève de l’école coloniale élitiste française. Champion africain des coups d’Etat sans effusion de sang dans les années 1960, le pays est encore réputé aujourd’hui dans la région pour la qualité de ses intellectuels. Ceci, alors que le pays n’a pourtant jamais été un champion du développement économique, social, culturel ou même sportif. De quoi se poser des questions dérangeantes à l’heure du cinquantenaire.
Bienveillance de l’État envers les fraudeurs
Mais ce travail d’introspection et de remise en cause collective n’aura pas vraiment lieu en ce mois d’août gris et pluvieux. La faute à un énième scandale financier et politique, particulièrement énorme. Qualifiée de « Madoff béninois », du nom du super escroc américain Bernard Madoff, l’affaire met en scène une institution de placement d’argent, Investment Consultancy & Computering services, qui a collecté auprès des populations béninoises l’équivalent de plus de 150 millions d’euros avant de se révéler comme ce qu’elle a toujours été : une vaste escroquerie fonctionnant sur le vieux principe de la fraude pyramidale.
L’affaire n’aurait pas pris la tournure d’une crise nationale sans précédent si elle ne concernait pas une proportion inquiétante de citoyens et n’impliquait pas des sommes vertigineuses au regard de la petite économie béninoise. Et si les responsables de l’entreprise frauduleuse n’avaient pas bénéficié de la bienveillance des principales personnalités de l’Etat et du pouvoir en place.
Le président Boni Yayi, économiste élu brillamment avec près de 75 % des voix au second tour de l’élection présidentielle en 2006, se retrouve en mauvaise posture à huit mois de la remise en jeu de son mandat. Aujourd’hui, une cinquantaine de députés sur les 83 que compte le parlement demandent que le président soit mis en accusation dans l’affaire des placements d’argent illégaux. Il a déjà dû limoger le procureur de la République de la capitale économique, Cotonou, et son ministre de l’Intérieur, tous deux détenus pour complicité présumée avec les auteurs de la fraude.
Des intérêts promis de 200%
Entre les histoires dramatiques des Béninois qui ont mis toutes leurs économies et des fonds empruntés dans les caisses de l’institution de placement qui leur promettait des intérêts de l’ordre de 200% et les accusations de complicité et répliques salées échangées quotidiennement entre les leaders de l’opposition et ceux du camp présidentiel, point de place pour une analyse dépassionnée du bilan des cinquante dernières années.
En réalité, le scandale financier qui frappe toutes les couches de la société béninoise offre une occasion rare à la nation de se regarder en face et de constater, enfin, que le quatrième temps de son histoire est celui du culte de l’argent facile et de la mort des idées, après l’époque des illusions de l’indépendance, l’ère de la ferveur révolutionnaire, puis celle de l’excitation démocratique et des libertés retrouvées.
Au Bénin, une insidieuse et profonde crise des valeurs collectives assombrit l’avenir pourtant plein de promesses d’une population jeune, bouillonnante et capable d’ingéniosité. La crise est aussi celle d’un système politique marqué aussi bien par sa capacité à produire des alternances démocratiques pacifiques que par sa corruption et son inaptitude à insuffler une véritable dynamique économique partagée.
Pendant cinquante ans, les Dahoméens puis les Béninois ont su échapper au pire : la guerre civile, les violences politiques et intercommunautaires et la famine. Les Béninois nourrissent plus d’ambitions au moment d’entamer un nouveau cinquantenaire.
(Publié sur infosud.org le 2 août 2010)
Quelques mois avant la fête de l’Indépendance du 1er août, l’état d’avancement des chantiers -pourtant modestes- lancés dans la capitale politique du Bénin, Porto-Novo, n’a pu que susciter inquiétudes et dépit. A croire que l’extraordinaire difficulté à faire, à bien faire, et à respecter les délais prévus pour la moindre réalisation publique d’envergure est peut-être le meilleur révélateur de l’absence d’un lien automatique entre démocratie d’une part et bonne gouvernance et décollage économique de l’autre.
Terre de royaumes puissants et de résistance héroïque à l’entreprise coloniale française, le Dahomey – qui sera renommé Bénin en 1975 -, s’est longtemps enorgueilli de son étiquette de « quartier latin de l’Afrique », bon élève de l’école coloniale élitiste française. Champion africain des coups d’Etat sans effusion de sang dans les années 1960, le pays est encore réputé aujourd’hui dans la région pour la qualité de ses intellectuels. Ceci, alors que le pays n’a pourtant jamais été un champion du développement économique, social, culturel ou même sportif. De quoi se poser des questions dérangeantes à l’heure du cinquantenaire.
Bienveillance de l’État envers les fraudeurs
Mais ce travail d’introspection et de remise en cause collective n’aura pas vraiment lieu en ce mois d’août gris et pluvieux. La faute à un énième scandale financier et politique, particulièrement énorme. Qualifiée de « Madoff béninois », du nom du super escroc américain Bernard Madoff, l’affaire met en scène une institution de placement d’argent, Investment Consultancy & Computering services, qui a collecté auprès des populations béninoises l’équivalent de plus de 150 millions d’euros avant de se révéler comme ce qu’elle a toujours été : une vaste escroquerie fonctionnant sur le vieux principe de la fraude pyramidale.
L’affaire n’aurait pas pris la tournure d’une crise nationale sans précédent si elle ne concernait pas une proportion inquiétante de citoyens et n’impliquait pas des sommes vertigineuses au regard de la petite économie béninoise. Et si les responsables de l’entreprise frauduleuse n’avaient pas bénéficié de la bienveillance des principales personnalités de l’Etat et du pouvoir en place.
Le président Boni Yayi, économiste élu brillamment avec près de 75 % des voix au second tour de l’élection présidentielle en 2006, se retrouve en mauvaise posture à huit mois de la remise en jeu de son mandat. Aujourd’hui, une cinquantaine de députés sur les 83 que compte le parlement demandent que le président soit mis en accusation dans l’affaire des placements d’argent illégaux. Il a déjà dû limoger le procureur de la République de la capitale économique, Cotonou, et son ministre de l’Intérieur, tous deux détenus pour complicité présumée avec les auteurs de la fraude.
Des intérêts promis de 200%
Entre les histoires dramatiques des Béninois qui ont mis toutes leurs économies et des fonds empruntés dans les caisses de l’institution de placement qui leur promettait des intérêts de l’ordre de 200% et les accusations de complicité et répliques salées échangées quotidiennement entre les leaders de l’opposition et ceux du camp présidentiel, point de place pour une analyse dépassionnée du bilan des cinquante dernières années.
En réalité, le scandale financier qui frappe toutes les couches de la société béninoise offre une occasion rare à la nation de se regarder en face et de constater, enfin, que le quatrième temps de son histoire est celui du culte de l’argent facile et de la mort des idées, après l’époque des illusions de l’indépendance, l’ère de la ferveur révolutionnaire, puis celle de l’excitation démocratique et des libertés retrouvées.
Au Bénin, une insidieuse et profonde crise des valeurs collectives assombrit l’avenir pourtant plein de promesses d’une population jeune, bouillonnante et capable d’ingéniosité. La crise est aussi celle d’un système politique marqué aussi bien par sa capacité à produire des alternances démocratiques pacifiques que par sa corruption et son inaptitude à insuffler une véritable dynamique économique partagée.
Pendant cinquante ans, les Dahoméens puis les Béninois ont su échapper au pire : la guerre civile, les violences politiques et intercommunautaires et la famine. Les Béninois nourrissent plus d’ambitions au moment d’entamer un nouveau cinquantenaire.
(Publié sur infosud.org le 2 août 2010)
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