Suspicion tous azimuts
Malgré les déclarations et les promesses des uns et des autres, le doute aura subsisté jusqu’au dernier jour sur la tenue du premier tour la présidentielle en Côte d'Ivoire. Ainsi, à dix jours du scrutin, les représentants des partis d’opposition au sein de la CEI ont contesté le rôle technique mais crucial confié à une société privée, filiale d’un bureau d’étude national dirigé par un proche du président Gbagbo, dans le traitement informatique des résultats issus des urnes. Après plusieurs réunions de crise, la commission électorale a annoncé avoir renoncé au traitement informatique et adopté le comptage manuel sur la base des procès-verbaux de dépouillement qui seront établis dans chaque bureau de vote. Le Front patriotique ivoirien (FPI) du candidat-président Gbagbo, en minorité au sein de commission électorale, a immédiatement qualifié cette décision d’inacceptable. Le Premier ministre Guillaume Soro a enfilé une énième fois son costume de négociateur et a fini par parvenir à une solution consensuelle sur le comptage des voix qui intègre finalement un traitement informatique mais sous le contrôle d’un comité d’expert, ce qui donnerait bien plus de chances à la commission électorale de proclamer les résultats provisoires dans le délai de trois jours maximum fixé par la loi. Cette soudaine montée de fièvre illustre la fragilité de la cohésion au sein d’une commission électorale qui est une agrégation des intérêts des partis politiques.
Quels sont les risques d’incidents le jour de l’élection ?
Le 31 octobre, le risque de dérapages violents devrait être plutôt faible, si les agents électoraux dépêchés dans tous les bureaux ont été bien formés sur les procédures et que le matériel électoral complet ne fait défaut nulle part. Les erreurs constatées sur un nombre apparemment non négligeable de cartes d’électeurs – noms mal orthographiés, inversion du nom et du prénom, voire erreur sur la photo -, risquent cependant d’empêcher certains de voter, et bien sûr de générer des frustrations. Le calme et la maîtrise des agents électoraux ainsi que la présence effective des forces chargées de la sécurisation des bureaux de vote seront déterminants pour contenir d’inévitables accès de nervosité d’électeurs déçus ici et là.
Il n’y a cependant, à priori, pas de raison de s’attendre à une multiplication d’incidents le jour de vote de nature à remettre en cause l’ensemble du scrutin. Par contre, dans les fiefs électoraux des trois candidats favoris, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, il n'est pas exclu que des groupes de militants veuillent empêcher les électeurs présumés des adversaires de leur candidat de voter librement. On courrait alors le risque de passer d’incidents mineurs à des dérapages majeurs susceptibles de conduire à des demandes d’annulations de la totalité des suffrages dans de grandes circonscriptions électorales. Dans ce cas, le scénario d’un déchirement au sein de la CEI entre la fin du vote et la proclamation des résultats provisoires et d’une contestation par anticipation de l’arbitrage ultime d’un Conseil constitutionnel présumé favorable au président sortant, sera - hélas- le plus probable.
Faut-il s’attendre à une contestation postélectorale ?
Une excellente organisation du scrutin de l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à la fin du dépouillement des bulletins éliminerait à l’évidence une bonne partie des sources de contestations postélectorales. Mais même dans ce cas, le risque d’une crise ne sera pas écarté jusqu’à la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel et la certification de cette dernière étape par le chef de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Le processus électoral aura alors traversé trois phases critiques : celle de la centralisation des résultats issus des urnes et consignés dans les procès-verbaux au niveau départemental, régional puis national ; celle de la proclamation des résultats provisoires par la CEI et celle de la validation de ces résultats par le Conseil constitutionnel après examen des éventuelles contestations des différents candidats auprès de cette institution qui est l’ultime juge électoral.
Comme la crise au sein de la CEI au sujet du mode de comptage électronique ou manuel des résultats l’a montré, les représentants des partis des trois favoris, PDCI, RDR et FPI, seront extrêmement vigilants tout au long du processus. En Côte d’Ivoire plus qu’ailleurs dans la région, les grands partis – et pas seulement celui du président sortant - ont mobilisé des moyens humains, techniques et financiers conséquents pour livrer une bataille électorale à laquelle ils se préparent depuis plusieurs années. Les candidats éliminés à l’issue du premier tour – et en particulier celui des trois « grands » qui ne passera pas cette étape-, n’accepteront facilement le verdict que si les conditions de l’organisation de l’élection à chaque phase se rapprochent de la perfection.
L’enjeu démocratique
La Côte d’Ivoire peut y arriver. Avec l’assistance de ses partenaires internationaux, à commencer par la mission civile et militaire des Nations unies forte de 10 000 personnes qui pourra enfin convaincre tous les Ivoiriens de l’importance décisive de sa longue et coûteuse présence sur leur territoire. Montrer que ce pays africain à l’immense potentiel peut sortir d’un conflit armé et d’une crise politique profonde par un processus électoral démocratique qui ne laisse pas de place à la tricherie à grande échelle et à la violence, tel est le réel enjeu de l’épreuve du 31 octobre 2010. Il est bien plus important que celui de savoir si le prochain président s’appellera Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié ou Alassane Ouattara. L’élection présidentielle ne sera après tout que le premier d’une série de rendez-vous électoraux. Il y aura encore beaucoup de bonnes places à prendre pour les élites politiques ivoiriennes à l’occasion des élections législatives, départementales et municipales à venir. Ceux qui prendraient le risque de faire replonger le pays dans le chaos dès le lendemain de la première échéance ne s’en relèveront probablement jamais.
mercredi 27 octobre 2010
vendredi 22 octobre 2010
L'avenir du franc CFA en pointillés
Confort, sécurité, stabilité, dépendance, passivité voire paresse versus prise de risque, fragilité, indépendance, apprentissage et dynamisme. On peut résumer par cette opposition les avantages et les inconvénients que procure le franc CFA aux pays africains qui l’utilisent en comparaison avec les pays qui disposent de monnaies nationales frappées par leurs banques centrales.
Pour les agents économiques des deux espaces où circulent le franc CFA, les avantages de cette monnaie sont évidents : elle est commune à plusieurs pays et élimine ainsi les risques et les coûts de transaction liés aux opérations de change; sa valeur interne est stable en raison de la prudence inhérente à la gestion d’une monnaie commune ; sa valeur externe est stable en raison de la parité fixe et de l’arrimage à une monnaie internationale forte, l’euro, dont l’institut d’émission, la Banque centrale européenne, est réputée pour sa hantise de l’inflation et des fluctuations excessives.
Par rapport aux autres pays africains, les taux d’inflation dans les pays de la zone CFA sont structurellement plus faibles. Des pays comme le Nigeria, le Ghana et la Guinée en Afrique de l’Ouest ont tous connu au cours des dernières décennies des périodes de forte inflation et d’effondrement de la valeur extérieure de leurs monnaies que les pays de la zone CFA n’ont jamais connues.
Le coût économique réel du confort et de la stabilité monétaire liés à la rigidité du mécanisme liant les pays africains de la zone CFA à la France et à l’Europe est cependant de plus en plus élevé. Ce coût n’est certes pas le même pour un petit pays d’Afrique centrale qui n’exporte quasiment que du pétrole et ne se soucie pas vraiment de compétitivité comme la Guinée équatoriale que pour une économie relativement diversifiée d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire.
La parité fixe établie avec l’euro fait subir au franc CFA les fluctuations de la monnaie européenne par rapport au dollar américain qui reste la monnaie de référence du commerce international. Une appréciation continue de l’euro, et donc du franc CFA, par rapport au dollar aggrave ainsi le problème de compétitivité des entreprises exportatrices des pays de la zone franc. Plus généralement, la parité fixe avec la seule monnaie européenne ne prend pas en compte l’évolution de la structure du commerce international des pays africains, de moins en moins marqué par le biais historique en faveur des partenaires européens. Elle gèle également toute sanction des mauvaises performances des économies de la zone par une baisse de la valeur de la monnaie et protège ainsi artificiellement ces pays d’un ajustement monétaire douloureux.
La seule dévaluation fut celle de janvier 1994. Le changement de la parité fixe d’une monnaie commune à plusieurs États est une décision politique extrêmement difficile à prendre même lorsque les circonstances économiques l’exigent.
Le mécanisme rigide du FCFA prive les pays de l’utilisation de la politique de change dans la boîte à outils de leur politique économique, en particulier pour répondre à des chocs économiques internes ou externes.
Des économistes ainsi que les institutions de Bretton Woods reconnaissent que la gestion de la monnaie commune de manière à contenir l’inflation et à respecter les principes de fonctionnement de la zone franc relève de la routine et ne stimule pas l’innovation. L’accoutumance au mécanisme du CFA n’aurait pas préparé la BCEAO et la BEAC ainsi que les gouvernements des pays concernés à la gestion d’une monnaie flexible dans un contexte international volatile et à la conduite d’une politique monétaire moderne dont l’objectif ne se limiterait pas à une faible inflation.
C’est sans doute ce manque de confiance et une volonté politique insuffisante qui expliquent les reports récurrents de l’échéance de la création d’une monnaie unique pour toute l’Afrique de l’Ouest, sans parler de l’Afrique centrale encore moins avancée sur cette route. C’est pourtant du côté des autorités politiques des pays africains usagers du franc CFA que devra venir une décision ferme sur l’avenir de cette monnaie dont le mérite le plus incontestable est d’avoir ancré dans la durée la coopération et la solidarité entre 14 pays africains, ou plus exactement entre 8 pays d’Afrique de l’Ouest d’une part et 6 pays d’Afrique centrale de l’autre.
Les principes de fonctionnement du FCFA :
• La parité fixe entre le franc CFA et l’euro à travers le franc français
• La garantie de convertibilité illimitée en euros accordée par la France en contrepartie du dépôt de la moitié des réserves de change des banques centrales dans des comptes d’opérations au Trésor français
• La liberté totale des transferts au sein de la zone franc
• La représentation de la France au sein des organes de surveillance et de décision des banques centrales de la zone franc
(Publié le 22 octobre 2010 sur le site www.rfi.fr)
Pour les agents économiques des deux espaces où circulent le franc CFA, les avantages de cette monnaie sont évidents : elle est commune à plusieurs pays et élimine ainsi les risques et les coûts de transaction liés aux opérations de change; sa valeur interne est stable en raison de la prudence inhérente à la gestion d’une monnaie commune ; sa valeur externe est stable en raison de la parité fixe et de l’arrimage à une monnaie internationale forte, l’euro, dont l’institut d’émission, la Banque centrale européenne, est réputée pour sa hantise de l’inflation et des fluctuations excessives.
Par rapport aux autres pays africains, les taux d’inflation dans les pays de la zone CFA sont structurellement plus faibles. Des pays comme le Nigeria, le Ghana et la Guinée en Afrique de l’Ouest ont tous connu au cours des dernières décennies des périodes de forte inflation et d’effondrement de la valeur extérieure de leurs monnaies que les pays de la zone CFA n’ont jamais connues.
Le coût économique réel du confort et de la stabilité monétaire liés à la rigidité du mécanisme liant les pays africains de la zone CFA à la France et à l’Europe est cependant de plus en plus élevé. Ce coût n’est certes pas le même pour un petit pays d’Afrique centrale qui n’exporte quasiment que du pétrole et ne se soucie pas vraiment de compétitivité comme la Guinée équatoriale que pour une économie relativement diversifiée d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire.
La parité fixe établie avec l’euro fait subir au franc CFA les fluctuations de la monnaie européenne par rapport au dollar américain qui reste la monnaie de référence du commerce international. Une appréciation continue de l’euro, et donc du franc CFA, par rapport au dollar aggrave ainsi le problème de compétitivité des entreprises exportatrices des pays de la zone franc. Plus généralement, la parité fixe avec la seule monnaie européenne ne prend pas en compte l’évolution de la structure du commerce international des pays africains, de moins en moins marqué par le biais historique en faveur des partenaires européens. Elle gèle également toute sanction des mauvaises performances des économies de la zone par une baisse de la valeur de la monnaie et protège ainsi artificiellement ces pays d’un ajustement monétaire douloureux.
La seule dévaluation fut celle de janvier 1994. Le changement de la parité fixe d’une monnaie commune à plusieurs États est une décision politique extrêmement difficile à prendre même lorsque les circonstances économiques l’exigent.
Le mécanisme rigide du FCFA prive les pays de l’utilisation de la politique de change dans la boîte à outils de leur politique économique, en particulier pour répondre à des chocs économiques internes ou externes.
Des économistes ainsi que les institutions de Bretton Woods reconnaissent que la gestion de la monnaie commune de manière à contenir l’inflation et à respecter les principes de fonctionnement de la zone franc relève de la routine et ne stimule pas l’innovation. L’accoutumance au mécanisme du CFA n’aurait pas préparé la BCEAO et la BEAC ainsi que les gouvernements des pays concernés à la gestion d’une monnaie flexible dans un contexte international volatile et à la conduite d’une politique monétaire moderne dont l’objectif ne se limiterait pas à une faible inflation.
C’est sans doute ce manque de confiance et une volonté politique insuffisante qui expliquent les reports récurrents de l’échéance de la création d’une monnaie unique pour toute l’Afrique de l’Ouest, sans parler de l’Afrique centrale encore moins avancée sur cette route. C’est pourtant du côté des autorités politiques des pays africains usagers du franc CFA que devra venir une décision ferme sur l’avenir de cette monnaie dont le mérite le plus incontestable est d’avoir ancré dans la durée la coopération et la solidarité entre 14 pays africains, ou plus exactement entre 8 pays d’Afrique de l’Ouest d’une part et 6 pays d’Afrique centrale de l’autre.
Les principes de fonctionnement du FCFA :
• La parité fixe entre le franc CFA et l’euro à travers le franc français
• La garantie de convertibilité illimitée en euros accordée par la France en contrepartie du dépôt de la moitié des réserves de change des banques centrales dans des comptes d’opérations au Trésor français
• La liberté totale des transferts au sein de la zone franc
• La représentation de la France au sein des organes de surveillance et de décision des banques centrales de la zone franc
(Publié le 22 octobre 2010 sur le site www.rfi.fr)
Le franc CFA, révélateur discret de l’ambiguïté des indépendances africaines
Ce que les chefs d’État africains invités au défilé du 14 juillet dernier auquel ont participé leurs armées nationales – à l’exception de la Côte d’Ivoire boudeuse-, avaient en commun, c’est la langue officielle de leurs pays héritée du colonisateur – le français – et une monnaie, le franc CFA, solidement arrimé à l’euro à travers le défunt franc français.
Si la question de la survivance de la zone franc cinquante ans après les indépendances est la grande oubliée des débats franco-africains, c’est qu’elle peut être très vite gênante, parce qu’emblématique de l’hésitation permanente des autorités politiques de ces pays africains entre affirmation pleine de leur indépendance économique et besoin de continuer à se placer sous le parapluie protecteur de l’ancienne puissance coloniale par manque de confiance en leurs propres capacités à gérer l'adversité économique et monétaire.
L’entrée d’une ex-colonie espagnole, la Guinée équatoriale en 1985, puis celle de la Guinée-Bissau ex-portugaise en 1997 dans le club du franc CFA n’ont pas altéré l’association dans les esprits entre franc CFA et influence française.
Une zone franc, deux francs CFA et deux banques centrales
Le franc des colonies françaises d’Afrique est né le 26 décembre 1945, le jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods dont l’objectif est de créer un ordre monétaire international doté de nouvelles règles au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le franc des colonies devient en 1958 le franc de la Communauté française d’Afrique au moment où le général de Gaulle propose la formule de «la communauté» aux colonies d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
La Guinée sous Sékou Touré est la seule qui rejette l’offre, demande et obtient l’indépendance immédiate du pays en octobre 1958, près de deux ans avant toutes les autres. La Guinée sort de la zone franc en 1960, crée sa propre banque centrale chargée de frapper le franc guinéen*. Après la création du «nouveau franc Français» en décembre 1958, la parité est fixée à 1 franc français pour 50 FCFA.
Cette parité fixe ne bougera pas pendant 36 ans, jusqu’à la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994 qui fut un choc retentissant pour les usagers de la monnaie. En une nuit, la monnaie perdait la moitié de sa valeur extérieure, 1 FF valant désormais 100 FCFA. La valse des étiquettes des produits importés dans les supermarchés des capitales de tous les pays de la zone reste dans les mémoires.
Le passage de la France à l’euro le 1er janvier 1999 ne change rien à la parité qui s’ajuste automatiquement : un euro vaut 6,55957 francs français donc 655,957 FCFA.
Deux francs CFA d’égale valeur extérieure coexistent en Afrique : le franc de la communauté financière africaine qui a cours dans les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le franc de la coopération financière en Afrique centrale qui circule dans les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Basée à Dakar (Sénégal), la banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) bat le franc CFA de la zone UEMOA tandis que la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) établie à Yaoundé (Cameroun) se charge du franc CFA de la zone CEMAC. Les deux instituts d’émission sont régis par des accords de coopération avec le gouvernement français.
Perpétuation du pacte colonial et instrument de domination ?
Comme tous les symboles du passé colonial qui ont survécu longtemps après la proclamation des indépendances, ce lien monétaire franco-africain fait l’objet de controverses et de positions parfois très tranchées. S’opposent d’une part ceux qui mettent en avant la contribution essentielle du franc CFA à l’intégration des économies de 15 pays africains, les avantages d’une monnaie stable garantie par un pays important sur la scène économique mondiale et désormais arrimée à la solide monnaie commune européenne, et d’autre part ceux qui y voient le symbole de l’absence d’indépendance monétaire et économique des anciennes colonies africaines.
Les pourfendeurs du franc CFA dénoncent la perpétuation du pacte colonial et l’utilisation de cette monnaie comme un instrument discret et puissant du maintien de la domination économique de la France dans son ancien pré carré. Au cœur des critiques se trouve la règle qui impose à chacune des banques centrales de déposer 50 % de leurs réserves de change – 65 % jusqu’en 2005-, dans un compte d’opérations ouvert au Trésor français. Cette obligation est la contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée du FCFA accordée par la France.
De là à affirmer que les réserves des pays africains de la zone franc «enrichissent la France», c’est un pas que n’hésitent pas à franchir les commentateurs les plus virulents. Tout en reconnaissant la réduction de la marge de manœuvre de la banque centrale induite par le mécanisme du compte d’opérations, un économiste de la BCEAO à Dakar rappelle que toutes les banques centrales du monde placent des réserves sur des places étrangères et que la capacité interne de la BCEAO par exemple à opérer des placements financiers complexes est limitée.
La place de la France dans le dispositif institutionnel des deux banques centrales est un autre sujet de discussion. Le processus d’africanisation des instituts d’émission engagé dans les années 1970 n’a pas mis fin à la présence de représentants de l’État français au sein de leurs conseils d’administration.
Avant une réforme institutionnelle de la BCEAO en avril 2010, la plus importante depuis des décennies, deux représentants de la France siégeaient dans le Conseil d’administration de la banque sur un total de 16 membres. Moins connu, le directeur local de l’Agence française du développement (AFD) était membre du comité national du crédit, organe qui délibère dans chaque État membre sur la distribution du crédit et le volume de l'émission. La politique monétaire de la zone était cependant déterminée par le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances des États membres, sans intervention a priori de la France.
La réforme de 2010 discutée pendant des années, a renforcé l’indépendance de la BCEAO à l’égard de la France. Il n’y a plus de représentant français au sein des nouveaux conseils nationaux de crédit, mais il y aura toujours un représentant de la France au conseil d’administration et un représentant également au comité de politique monétaire, le nouvel organe décisionnel en matière de politique monétaire dans la zone qui se réunit tous les trimestres. Si on fait remarquer au sein de la banque à Dakar que les représentants de la France n’ont qu’une voix aux côtés des représentants des 8 États ouest-africains membres au sein du conseil et du comité, et qu’on salue l’esprit de la récente réforme, beaucoup estiment qu’elle aurait dû aller plus loin. Et que, par exemple, la présence de la France au sein du comité de politique monétaire n’est pas nécessaire, sauf peut-être lors des réunions extraordinaires convoquées en cas de risque de crise monétaire.
Les principes fondamentaux de la gestion du franc CFA qui a survécu à toutes les crises économiques, politiques et sociales dans les pays africains membres en cinquante ans, mais également à la mort du franc français, son étalon historique, semblent éternels. À moins que le projet de création d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest à l’horizon 2018 et le grand dessein d’une union monétaire à l’échelle de tout le continent africain qui figure dans les plans ambitieux de l’Union africaine ne deviennent plus crédibles qu’ils ne l’ont jusque-là été.
(Publié le 22 octobre 2010 sur le site www.rfi.fr)
Si la question de la survivance de la zone franc cinquante ans après les indépendances est la grande oubliée des débats franco-africains, c’est qu’elle peut être très vite gênante, parce qu’emblématique de l’hésitation permanente des autorités politiques de ces pays africains entre affirmation pleine de leur indépendance économique et besoin de continuer à se placer sous le parapluie protecteur de l’ancienne puissance coloniale par manque de confiance en leurs propres capacités à gérer l'adversité économique et monétaire.
L’entrée d’une ex-colonie espagnole, la Guinée équatoriale en 1985, puis celle de la Guinée-Bissau ex-portugaise en 1997 dans le club du franc CFA n’ont pas altéré l’association dans les esprits entre franc CFA et influence française.
Une zone franc, deux francs CFA et deux banques centrales
Le franc des colonies françaises d’Afrique est né le 26 décembre 1945, le jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods dont l’objectif est de créer un ordre monétaire international doté de nouvelles règles au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le franc des colonies devient en 1958 le franc de la Communauté française d’Afrique au moment où le général de Gaulle propose la formule de «la communauté» aux colonies d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
La Guinée sous Sékou Touré est la seule qui rejette l’offre, demande et obtient l’indépendance immédiate du pays en octobre 1958, près de deux ans avant toutes les autres. La Guinée sort de la zone franc en 1960, crée sa propre banque centrale chargée de frapper le franc guinéen*. Après la création du «nouveau franc Français» en décembre 1958, la parité est fixée à 1 franc français pour 50 FCFA.
Cette parité fixe ne bougera pas pendant 36 ans, jusqu’à la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994 qui fut un choc retentissant pour les usagers de la monnaie. En une nuit, la monnaie perdait la moitié de sa valeur extérieure, 1 FF valant désormais 100 FCFA. La valse des étiquettes des produits importés dans les supermarchés des capitales de tous les pays de la zone reste dans les mémoires.
Le passage de la France à l’euro le 1er janvier 1999 ne change rien à la parité qui s’ajuste automatiquement : un euro vaut 6,55957 francs français donc 655,957 FCFA.
Deux francs CFA d’égale valeur extérieure coexistent en Afrique : le franc de la communauté financière africaine qui a cours dans les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le franc de la coopération financière en Afrique centrale qui circule dans les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Basée à Dakar (Sénégal), la banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) bat le franc CFA de la zone UEMOA tandis que la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) établie à Yaoundé (Cameroun) se charge du franc CFA de la zone CEMAC. Les deux instituts d’émission sont régis par des accords de coopération avec le gouvernement français.
Perpétuation du pacte colonial et instrument de domination ?
Comme tous les symboles du passé colonial qui ont survécu longtemps après la proclamation des indépendances, ce lien monétaire franco-africain fait l’objet de controverses et de positions parfois très tranchées. S’opposent d’une part ceux qui mettent en avant la contribution essentielle du franc CFA à l’intégration des économies de 15 pays africains, les avantages d’une monnaie stable garantie par un pays important sur la scène économique mondiale et désormais arrimée à la solide monnaie commune européenne, et d’autre part ceux qui y voient le symbole de l’absence d’indépendance monétaire et économique des anciennes colonies africaines.
Les pourfendeurs du franc CFA dénoncent la perpétuation du pacte colonial et l’utilisation de cette monnaie comme un instrument discret et puissant du maintien de la domination économique de la France dans son ancien pré carré. Au cœur des critiques se trouve la règle qui impose à chacune des banques centrales de déposer 50 % de leurs réserves de change – 65 % jusqu’en 2005-, dans un compte d’opérations ouvert au Trésor français. Cette obligation est la contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée du FCFA accordée par la France.
De là à affirmer que les réserves des pays africains de la zone franc «enrichissent la France», c’est un pas que n’hésitent pas à franchir les commentateurs les plus virulents. Tout en reconnaissant la réduction de la marge de manœuvre de la banque centrale induite par le mécanisme du compte d’opérations, un économiste de la BCEAO à Dakar rappelle que toutes les banques centrales du monde placent des réserves sur des places étrangères et que la capacité interne de la BCEAO par exemple à opérer des placements financiers complexes est limitée.
La place de la France dans le dispositif institutionnel des deux banques centrales est un autre sujet de discussion. Le processus d’africanisation des instituts d’émission engagé dans les années 1970 n’a pas mis fin à la présence de représentants de l’État français au sein de leurs conseils d’administration.
Avant une réforme institutionnelle de la BCEAO en avril 2010, la plus importante depuis des décennies, deux représentants de la France siégeaient dans le Conseil d’administration de la banque sur un total de 16 membres. Moins connu, le directeur local de l’Agence française du développement (AFD) était membre du comité national du crédit, organe qui délibère dans chaque État membre sur la distribution du crédit et le volume de l'émission. La politique monétaire de la zone était cependant déterminée par le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances des États membres, sans intervention a priori de la France.
La réforme de 2010 discutée pendant des années, a renforcé l’indépendance de la BCEAO à l’égard de la France. Il n’y a plus de représentant français au sein des nouveaux conseils nationaux de crédit, mais il y aura toujours un représentant de la France au conseil d’administration et un représentant également au comité de politique monétaire, le nouvel organe décisionnel en matière de politique monétaire dans la zone qui se réunit tous les trimestres. Si on fait remarquer au sein de la banque à Dakar que les représentants de la France n’ont qu’une voix aux côtés des représentants des 8 États ouest-africains membres au sein du conseil et du comité, et qu’on salue l’esprit de la récente réforme, beaucoup estiment qu’elle aurait dû aller plus loin. Et que, par exemple, la présence de la France au sein du comité de politique monétaire n’est pas nécessaire, sauf peut-être lors des réunions extraordinaires convoquées en cas de risque de crise monétaire.
Les principes fondamentaux de la gestion du franc CFA qui a survécu à toutes les crises économiques, politiques et sociales dans les pays africains membres en cinquante ans, mais également à la mort du franc français, son étalon historique, semblent éternels. À moins que le projet de création d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest à l’horizon 2018 et le grand dessein d’une union monétaire à l’échelle de tout le continent africain qui figure dans les plans ambitieux de l’Union africaine ne deviennent plus crédibles qu’ils ne l’ont jusque-là été.
(Publié le 22 octobre 2010 sur le site www.rfi.fr)
mercredi 20 octobre 2010
L’avenir immédiat de la Côte d’Ivoire en cinq questions
L’élection présidentielle aura-t-elle lieu le 31 octobre prochain ?
Le fichier électoral est consensuel et certifié par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, les listes électorales définitives sont publiées, les cartes d’identité nationale et les cartes d’électeurs sont en cours de distribution partout dans le pays, le matériel électoral est également en cours d’acheminement avec l’assistance précieuse de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), tous les candidats affirment que rien en justifierait un nouveau report du scrutin et tous sont désormais mobilisés par la campagne électorale officielle ouverte le 15 octobre dernier. Sauf catastrophe, les électeurs ivoiriens iront bien voter le 31 octobre 2010, dix ans après le dernier scrutin présidentiel gagné par Laurent Gbagbo dans des conditions calamiteuses de l’aveu même de ce dernier. Lorsqu’on a suivi avec attention les soubresauts politiques et militaires en Côte d’Ivoire depuis la tentative de coup d’état devenue rébellion armée en septembre 2002, et les manœuvres aussi sophistiquées que vicieuses des acteurs de cette tragicomédie, on ne peut cependant pas s’empêcher de conserver une petite part de doute jusqu’à l’observation de l’effectivité du vote le dimanche 31 octobre prochain.
Quelles sont les chances que les opérations de vote se passent sans violences significatives ?
Le jour du vote, la très grande majorité des électeurs n’aura comme principale obsession que celle de se servir de cette carte électorale numérisée flambant neuve pour ressentir cet agréable sentiment de participer à l’écriture de l’Histoire de son pays en apposant une croix en face de l’un des 14 candidats. Ce sera aussi bien le cas des électeurs ordinaires que de ceux qui ont joué un rôle actif dans le déroulement de la crise politique et militaire : anciens rebelles des Forces nouvelles, anciens miliciens citadins ou villageois mobilisés ponctuellement pour défendre le pouvoir du président Gbagbo au cours des huit dernières années, militants organisés des partis politiques majeurs affectés à des tâches précises sur le terrain dans leurs localités respectives, jeunes délinquants mobilisables avec quelques billets de francs CFA par n’importe quel parti pour réaliser un mauvais coup.
Si les bureaux de vote ouvrent à l’heure et que les agents électoraux font bien leur travail, le risque de dérapages violents pendant la journée du 31 octobre sera plutôt faible. Chaque grand parti présentant un candidat à l’élection dispose d’un nombre suffisamment important de militants jeunes et réactifs dans toutes les régions du pays pour qu’un équilibre de la menace du recours à la violence décourage toute velléité d’empêcher certains électeurs de voter ou de perturber les opérations de vote. Ce risque existe cependant dans les localités identifiées comme les fiefs électoraux des principaux candidats et dans tous les lieux où la présence d’anciens combattants des Forces nouvelles et d’anciens miliciens pro-Gbagbo est particulièrement forte. Le plan de sécurisation des élections établi par les forces de défense et de sécurité ivoiriennes intégrant une partie des ex-rebelles et par les forces internationales de l’ONUCI et de l’Opération française Licorne devrait permettre de contenir ce risque.
Quelles sont les chances d’échapper à des contestations violentes au lendemain de la proclamation des résultats provisoires ?
Malgré la bonne ambiance relative qui caractérise jusque-là la campagne électorale et en dépit de la signature d’un code de bonne conduite par les candidats et de l’engagement de la plupart d’entre eux à respecter le verdict des urnes, les chances que les lendemains de la proclamation des résultats provisoires soient calmes et sereins sont faibles. Cinq facteurs au moins seront déterminants dans l’ampleur et la forme des éventuelles contestations postélectorales : la perception par les états-majors politiques de la transparence des opérations de centralisation des résultats provenant de tous les bureaux de vote, le maintien de la cohésion au sein des commissions électorales locales et de la commission centrale jusqu’à la proclamation des résultats, les premières appréciations publiques ou privées formulées par l’ONUCI et les observateurs internationaux, l’identité du « grand » candidat éliminé à l’issue du premier tour ou la proclamation de la victoire d’un candidat dès le premier tour et enfin la capacité du premier des perdants à faire preuve de bonne foi.
En réalité, les élections ivoiriennes à venir devraient être significativement plus crédibles que celles qui ont lieu dans la majorité des pays de la région. Parce qu’il s’agit d’élections inscrites dans un long processus de paix, la commission électorale et plus généralement l’ensemble du dispositif politique, institutionnel et technique qui encadre les opérations électorales a fait l’objet d’un consensus fort entre les acteurs principaux de la compétition pour le pouvoir présidentiel. De plus, chacun des grands partis, le Front populaire ivoirien (FPI) du président sortant Laurent Gbagbo, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président et candidat Henri Konan Bédié et le Rassemblement des Républicains (RDR) de l’ancien Premier ministre et candidat Alassane Ouattara, dispose de cadres compétents en matière électorale, y compris dans leurs aspects techniques les plus pointus, qui ne manqueront pas d’exercer une surveillance étroite des opérations de centralisation des résultats. La présence d’une mission civile et militaire de maintien de la paix de l’ONU, le déploiement en nombre d’observateurs internationaux et le mandat de certification de l’élection qui échoit au représentant spécial du secrétaire général de l’ONU à Abidjan, le sud-coréen Choi Young-Jin, sont autant de raisons de croire en un scrutin particulièrement crédible.
Cela ne suffit pas cependant à garantir l’absence de troubles plus ou moins violents après le 31 octobre. Lorsqu’on n’oublie aucun des épisodes tordus et meurtriers de la crise ivoirienne, on doit retenir comme hypothèse de base que les acteurs politiques majeurs sont de mauvaise foi, certes à des degrés différents en passant de l’un à l’autre, quand la préservation du pouvoir ou sa conquête sont en jeu. On sait aussi et surtout qu’un certain nombre d’Ivoiriens n’ont pas hésité à recourir de manière délibérée, calculée et vicieuse à la violence politique de masse au cours des dernières années, sans qu’on ne les ait identifiés et poursuivis en justice. Ces personnes n’ont pas disparu comme par enchantement du paysage. Le basculement dans la violence sous une forme ou une autre au lendemain du scrutin risque moins de provenir de la mauvaise foi du ou des candidats perdants que de ceux, tapis dans leurs entourages respectifs, qui n’arrivent pas à envisager un avenir sans une proximité avec le palais présidentiel et les privilèges matériels assortis, et qui sont prêts littéralement à tout pour échapper à ce destin.
Quelles sont les chances des différents candidats au premier tour?
Des 14 candidats, dont une seule candidate, retenus par le Conseil constitutionnel pour participer au scrutin du 31 octobre, on ne parle hélas que des trois « grands » : Laurent Gbagbo du FPI, Henri Konan Bédié du PDCI et Alassane Ouattara du RDR. Leurs partis sont les mieux implantés dans le pays, les plus structurés, les plus fournis en cadres capables de constituer des équipes gouvernementales le moment venu et, bien sûr, les plus riches. L’une des particularités de l’élection ivoirienne, c’est que le président sortant n’écrase pas totalement ses deux principaux rivaux, malgré l’importance des moyens de l’État mis à contribution pour sa précampagne et sa campagne électorale et l’indubitable avantage relatif dont il jouit dans la couverture audiovisuelle de ses activités par les médias publics. L’ancien président Bédié et l’ancien Premier ministre Ouattara ont réussi à maintenir à flot leurs machines électorales respectives malgré les reports successifs du scrutin présidentiel. Il y aura une vraie bataille dans les urnes le 31 octobre et on ne peut exclure que les résultats obtenus par Ouattara, Bédié et Gbagbo soient très serrés.
Si l’on estime que les performances électorales des trois grands partis il y a près de dix ans conservent encore quelque pertinence aujourd’hui, on rappellera que le RDR, le PDCI et le FPI avaient recueilli respectivement 27,15 %, 26,89 % et 25,02 % des suffrages exprimés lors des élections municipales de mars 2001 qui n’avaient cependant concerné que 58 % de l’électorat national à l’époque. Le FPI du président Gbagbo n’était donc que le troisième parti du pays. Les années de crise sont passées par là et personne ne sait comment ont évolué les préférences politiques des anciens et des nouveaux électeurs ivoiriens. Une autre tentative de pronostic consiste à accorder une réelle crédibilité aux sondages commandés à des instituts français réputés par le président Gbagbo au cours des derniers mois. Ils le donnent sensiblement en tête lors du premier tour avec plus de 40 % des voix et le créditent d’une victoire plutôt nette au second tour face à Bédié ou à Ouattara. Sauf que la fiabilité des sondages d’opinion dans le contexte socioculturel et politique ivoirien n’a encore jamais été démontrée. On peut enfin se laisser aller à une déduction spéculative politiquement incorrecte et se demander si le président sortant n’aurait pas trouvé le moyen de faire reporter l’échéance électorale s’il n’avait pas eu, enfin, la certitude de gagner... avec l’élégance du démocrate ou par un passage en force. L’attitude la plus responsable à quelques jours du scrutin est de renoncer aux pronostics, de laisser les électeurs ivoiriens choisir sereinement et d’espérer que seuls leurs votes compteront.
Quelles sont les chances que l’élection présidentielle inaugure une nouvelle ère politique en Côte d’Ivoire?
L’élection d’un président dans des conditions qui seraient jugées acceptables par ses principaux adversaires et par l’ONU mettrait fin à la situation tout à fait unique expérimentée par l’ancien pays phare d’Afrique de l’Ouest depuis plus de huit ans, caractérisée par la perte d’autorité de l’État sur la moitié nord du territoire contrôlée militairement et économiquement par un mouvement rebelle, une période courte d’affrontements de nature militaire puis des épisodes de violences politiques graves aussi bien au nord qu’au sud et à l’ouest, des assassinats et des tentatives d’assassinats politiques et un très long processus de sortie de crise qui n’a fait qu’une part congrue à la recherche de l’intérêt général du pays. Le scrutin mettra également fin à l’inexorable perte de légitimité du président actuel certes victime du déclenchement de la rébellion en 2002 mais tout de même en place depuis dix ans sans avoir remis en jeu son mandat constitutionnel de cinq ans.
Les changements à attendre de l’élection présidentielle pourraient s’arrêter là. Une rupture dans la manière de gérer les affaires publiques et l’assainissement des pratiques politiques ne sont que peu probables. En premier lieu, aucun des trois candidats favoris n’incarne un renouvellement prometteur de la classe politique ivoirienne. En deuxième lieu, la plupart des cadres de leurs partis et mouvements de soutien respectifs, y compris les plus jeunes, ont émergé pendant les années de braise qui laissent généralement peu de chances de survie politique aux plus vertueux, à ceux qui estiment que la fin ne justifie pas tous les moyens. En troisième lieu, si la crise politico-militaire a plutôt épargné les infrastructures physiques et le socle de ressources humaines qualifiées qui a permis d’éviter un effondrement de l’économie, elle a profondément sapé les valeurs collectives de la société ivoirienne. Les nouveaux modèles de réussite servis à la jeunesse, qu’il s’agisse de jeunes « refondateurs » associés au pouvoir actuel ou de responsables politiques et militaires de l’ex-rébellion qui se sont outrageusement enrichis à vue d’œil en quelques années, n’incitent pas à l’optimisme. Il faudra plus qu’une élection présidentielle même historique pour extirper la Côte d’Ivoire du chemin périlleux pavé d’insouciance, de jouissance et de violence dans lequel elle s’est engagée depuis près de deux décennies.
(Publié sur afrik.com le 20 octobre 2010)
Le fichier électoral est consensuel et certifié par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, les listes électorales définitives sont publiées, les cartes d’identité nationale et les cartes d’électeurs sont en cours de distribution partout dans le pays, le matériel électoral est également en cours d’acheminement avec l’assistance précieuse de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), tous les candidats affirment que rien en justifierait un nouveau report du scrutin et tous sont désormais mobilisés par la campagne électorale officielle ouverte le 15 octobre dernier. Sauf catastrophe, les électeurs ivoiriens iront bien voter le 31 octobre 2010, dix ans après le dernier scrutin présidentiel gagné par Laurent Gbagbo dans des conditions calamiteuses de l’aveu même de ce dernier. Lorsqu’on a suivi avec attention les soubresauts politiques et militaires en Côte d’Ivoire depuis la tentative de coup d’état devenue rébellion armée en septembre 2002, et les manœuvres aussi sophistiquées que vicieuses des acteurs de cette tragicomédie, on ne peut cependant pas s’empêcher de conserver une petite part de doute jusqu’à l’observation de l’effectivité du vote le dimanche 31 octobre prochain.
Quelles sont les chances que les opérations de vote se passent sans violences significatives ?
Le jour du vote, la très grande majorité des électeurs n’aura comme principale obsession que celle de se servir de cette carte électorale numérisée flambant neuve pour ressentir cet agréable sentiment de participer à l’écriture de l’Histoire de son pays en apposant une croix en face de l’un des 14 candidats. Ce sera aussi bien le cas des électeurs ordinaires que de ceux qui ont joué un rôle actif dans le déroulement de la crise politique et militaire : anciens rebelles des Forces nouvelles, anciens miliciens citadins ou villageois mobilisés ponctuellement pour défendre le pouvoir du président Gbagbo au cours des huit dernières années, militants organisés des partis politiques majeurs affectés à des tâches précises sur le terrain dans leurs localités respectives, jeunes délinquants mobilisables avec quelques billets de francs CFA par n’importe quel parti pour réaliser un mauvais coup.
Si les bureaux de vote ouvrent à l’heure et que les agents électoraux font bien leur travail, le risque de dérapages violents pendant la journée du 31 octobre sera plutôt faible. Chaque grand parti présentant un candidat à l’élection dispose d’un nombre suffisamment important de militants jeunes et réactifs dans toutes les régions du pays pour qu’un équilibre de la menace du recours à la violence décourage toute velléité d’empêcher certains électeurs de voter ou de perturber les opérations de vote. Ce risque existe cependant dans les localités identifiées comme les fiefs électoraux des principaux candidats et dans tous les lieux où la présence d’anciens combattants des Forces nouvelles et d’anciens miliciens pro-Gbagbo est particulièrement forte. Le plan de sécurisation des élections établi par les forces de défense et de sécurité ivoiriennes intégrant une partie des ex-rebelles et par les forces internationales de l’ONUCI et de l’Opération française Licorne devrait permettre de contenir ce risque.
Quelles sont les chances d’échapper à des contestations violentes au lendemain de la proclamation des résultats provisoires ?
Malgré la bonne ambiance relative qui caractérise jusque-là la campagne électorale et en dépit de la signature d’un code de bonne conduite par les candidats et de l’engagement de la plupart d’entre eux à respecter le verdict des urnes, les chances que les lendemains de la proclamation des résultats provisoires soient calmes et sereins sont faibles. Cinq facteurs au moins seront déterminants dans l’ampleur et la forme des éventuelles contestations postélectorales : la perception par les états-majors politiques de la transparence des opérations de centralisation des résultats provenant de tous les bureaux de vote, le maintien de la cohésion au sein des commissions électorales locales et de la commission centrale jusqu’à la proclamation des résultats, les premières appréciations publiques ou privées formulées par l’ONUCI et les observateurs internationaux, l’identité du « grand » candidat éliminé à l’issue du premier tour ou la proclamation de la victoire d’un candidat dès le premier tour et enfin la capacité du premier des perdants à faire preuve de bonne foi.
En réalité, les élections ivoiriennes à venir devraient être significativement plus crédibles que celles qui ont lieu dans la majorité des pays de la région. Parce qu’il s’agit d’élections inscrites dans un long processus de paix, la commission électorale et plus généralement l’ensemble du dispositif politique, institutionnel et technique qui encadre les opérations électorales a fait l’objet d’un consensus fort entre les acteurs principaux de la compétition pour le pouvoir présidentiel. De plus, chacun des grands partis, le Front populaire ivoirien (FPI) du président sortant Laurent Gbagbo, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien président et candidat Henri Konan Bédié et le Rassemblement des Républicains (RDR) de l’ancien Premier ministre et candidat Alassane Ouattara, dispose de cadres compétents en matière électorale, y compris dans leurs aspects techniques les plus pointus, qui ne manqueront pas d’exercer une surveillance étroite des opérations de centralisation des résultats. La présence d’une mission civile et militaire de maintien de la paix de l’ONU, le déploiement en nombre d’observateurs internationaux et le mandat de certification de l’élection qui échoit au représentant spécial du secrétaire général de l’ONU à Abidjan, le sud-coréen Choi Young-Jin, sont autant de raisons de croire en un scrutin particulièrement crédible.
Cela ne suffit pas cependant à garantir l’absence de troubles plus ou moins violents après le 31 octobre. Lorsqu’on n’oublie aucun des épisodes tordus et meurtriers de la crise ivoirienne, on doit retenir comme hypothèse de base que les acteurs politiques majeurs sont de mauvaise foi, certes à des degrés différents en passant de l’un à l’autre, quand la préservation du pouvoir ou sa conquête sont en jeu. On sait aussi et surtout qu’un certain nombre d’Ivoiriens n’ont pas hésité à recourir de manière délibérée, calculée et vicieuse à la violence politique de masse au cours des dernières années, sans qu’on ne les ait identifiés et poursuivis en justice. Ces personnes n’ont pas disparu comme par enchantement du paysage. Le basculement dans la violence sous une forme ou une autre au lendemain du scrutin risque moins de provenir de la mauvaise foi du ou des candidats perdants que de ceux, tapis dans leurs entourages respectifs, qui n’arrivent pas à envisager un avenir sans une proximité avec le palais présidentiel et les privilèges matériels assortis, et qui sont prêts littéralement à tout pour échapper à ce destin.
Quelles sont les chances des différents candidats au premier tour?
Des 14 candidats, dont une seule candidate, retenus par le Conseil constitutionnel pour participer au scrutin du 31 octobre, on ne parle hélas que des trois « grands » : Laurent Gbagbo du FPI, Henri Konan Bédié du PDCI et Alassane Ouattara du RDR. Leurs partis sont les mieux implantés dans le pays, les plus structurés, les plus fournis en cadres capables de constituer des équipes gouvernementales le moment venu et, bien sûr, les plus riches. L’une des particularités de l’élection ivoirienne, c’est que le président sortant n’écrase pas totalement ses deux principaux rivaux, malgré l’importance des moyens de l’État mis à contribution pour sa précampagne et sa campagne électorale et l’indubitable avantage relatif dont il jouit dans la couverture audiovisuelle de ses activités par les médias publics. L’ancien président Bédié et l’ancien Premier ministre Ouattara ont réussi à maintenir à flot leurs machines électorales respectives malgré les reports successifs du scrutin présidentiel. Il y aura une vraie bataille dans les urnes le 31 octobre et on ne peut exclure que les résultats obtenus par Ouattara, Bédié et Gbagbo soient très serrés.
Si l’on estime que les performances électorales des trois grands partis il y a près de dix ans conservent encore quelque pertinence aujourd’hui, on rappellera que le RDR, le PDCI et le FPI avaient recueilli respectivement 27,15 %, 26,89 % et 25,02 % des suffrages exprimés lors des élections municipales de mars 2001 qui n’avaient cependant concerné que 58 % de l’électorat national à l’époque. Le FPI du président Gbagbo n’était donc que le troisième parti du pays. Les années de crise sont passées par là et personne ne sait comment ont évolué les préférences politiques des anciens et des nouveaux électeurs ivoiriens. Une autre tentative de pronostic consiste à accorder une réelle crédibilité aux sondages commandés à des instituts français réputés par le président Gbagbo au cours des derniers mois. Ils le donnent sensiblement en tête lors du premier tour avec plus de 40 % des voix et le créditent d’une victoire plutôt nette au second tour face à Bédié ou à Ouattara. Sauf que la fiabilité des sondages d’opinion dans le contexte socioculturel et politique ivoirien n’a encore jamais été démontrée. On peut enfin se laisser aller à une déduction spéculative politiquement incorrecte et se demander si le président sortant n’aurait pas trouvé le moyen de faire reporter l’échéance électorale s’il n’avait pas eu, enfin, la certitude de gagner... avec l’élégance du démocrate ou par un passage en force. L’attitude la plus responsable à quelques jours du scrutin est de renoncer aux pronostics, de laisser les électeurs ivoiriens choisir sereinement et d’espérer que seuls leurs votes compteront.
Quelles sont les chances que l’élection présidentielle inaugure une nouvelle ère politique en Côte d’Ivoire?
L’élection d’un président dans des conditions qui seraient jugées acceptables par ses principaux adversaires et par l’ONU mettrait fin à la situation tout à fait unique expérimentée par l’ancien pays phare d’Afrique de l’Ouest depuis plus de huit ans, caractérisée par la perte d’autorité de l’État sur la moitié nord du territoire contrôlée militairement et économiquement par un mouvement rebelle, une période courte d’affrontements de nature militaire puis des épisodes de violences politiques graves aussi bien au nord qu’au sud et à l’ouest, des assassinats et des tentatives d’assassinats politiques et un très long processus de sortie de crise qui n’a fait qu’une part congrue à la recherche de l’intérêt général du pays. Le scrutin mettra également fin à l’inexorable perte de légitimité du président actuel certes victime du déclenchement de la rébellion en 2002 mais tout de même en place depuis dix ans sans avoir remis en jeu son mandat constitutionnel de cinq ans.
Les changements à attendre de l’élection présidentielle pourraient s’arrêter là. Une rupture dans la manière de gérer les affaires publiques et l’assainissement des pratiques politiques ne sont que peu probables. En premier lieu, aucun des trois candidats favoris n’incarne un renouvellement prometteur de la classe politique ivoirienne. En deuxième lieu, la plupart des cadres de leurs partis et mouvements de soutien respectifs, y compris les plus jeunes, ont émergé pendant les années de braise qui laissent généralement peu de chances de survie politique aux plus vertueux, à ceux qui estiment que la fin ne justifie pas tous les moyens. En troisième lieu, si la crise politico-militaire a plutôt épargné les infrastructures physiques et le socle de ressources humaines qualifiées qui a permis d’éviter un effondrement de l’économie, elle a profondément sapé les valeurs collectives de la société ivoirienne. Les nouveaux modèles de réussite servis à la jeunesse, qu’il s’agisse de jeunes « refondateurs » associés au pouvoir actuel ou de responsables politiques et militaires de l’ex-rébellion qui se sont outrageusement enrichis à vue d’œil en quelques années, n’incitent pas à l’optimisme. Il faudra plus qu’une élection présidentielle même historique pour extirper la Côte d’Ivoire du chemin périlleux pavé d’insouciance, de jouissance et de violence dans lequel elle s’est engagée depuis près de deux décennies.
(Publié sur afrik.com le 20 octobre 2010)
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