vendredi 22 octobre 2010

Le franc CFA, révélateur discret de l’ambiguïté des indépendances africaines

Ce que les chefs d’État africains invités au défilé du 14 juillet dernier auquel ont participé leurs armées nationales – à l’exception de la Côte d’Ivoire boudeuse-, avaient en commun, c’est la langue officielle de leurs pays héritée du colonisateur – le français – et une monnaie, le franc CFA, solidement arrimé à l’euro à travers le défunt franc français.

Si la question de la survivance de la zone franc cinquante ans après les indépendances est la grande oubliée des débats franco-africains, c’est qu’elle peut être très vite gênante, parce qu’emblématique de l’hésitation permanente des autorités politiques de ces pays africains entre affirmation pleine de leur indépendance économique et besoin de continuer à se placer sous le parapluie protecteur de l’ancienne puissance coloniale par manque de confiance en leurs propres capacités à gérer l'adversité économique et monétaire.

L’entrée d’une ex-colonie espagnole, la Guinée équatoriale en 1985, puis celle de la Guinée-Bissau ex-portugaise en 1997 dans le club du franc CFA n’ont pas altéré l’association dans les esprits entre franc CFA et influence française.

Une zone franc, deux francs CFA et deux banques centrales

Le franc des colonies françaises d’Afrique est né le 26 décembre 1945, le jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods dont l’objectif est de créer un ordre monétaire international doté de nouvelles règles au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le franc des colonies devient en 1958 le franc de la Communauté française d’Afrique au moment où le général de Gaulle propose la formule de «la communauté» aux colonies d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

La Guinée sous Sékou Touré est la seule qui rejette l’offre, demande et obtient l’indépendance immédiate du pays en octobre 1958, près de deux ans avant toutes les autres. La Guinée sort de la zone franc en 1960, crée sa propre banque centrale chargée de frapper le franc guinéen*. Après la création du «nouveau franc Français» en décembre 1958, la parité est fixée à 1 franc français pour 50 FCFA.

Cette parité fixe ne bougera pas pendant 36 ans, jusqu’à la dévaluation du franc CFA le 12 janvier 1994 qui fut un choc retentissant pour les usagers de la monnaie. En une nuit, la monnaie perdait la moitié de sa valeur extérieure, 1 FF valant désormais 100 FCFA. La valse des étiquettes des produits importés dans les supermarchés des capitales de tous les pays de la zone reste dans les mémoires.
Le passage de la France à l’euro le 1er janvier 1999 ne change rien à la parité qui s’ajuste automatiquement : un euro vaut 6,55957 francs français donc 655,957 FCFA.

Deux francs CFA d’égale valeur extérieure coexistent en Afrique : le franc de la communauté financière africaine qui a cours dans les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le franc de la coopération financière en Afrique centrale qui circule dans les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

Basée à Dakar (Sénégal), la banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) bat le franc CFA de la zone UEMOA tandis que la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) établie à Yaoundé (Cameroun) se charge du franc CFA de la zone CEMAC. Les deux instituts d’émission sont régis par des accords de coopération avec le gouvernement français.

Perpétuation du pacte colonial et instrument de domination ?

Comme tous les symboles du passé colonial qui ont survécu longtemps après la proclamation des indépendances, ce lien monétaire franco-africain fait l’objet de controverses et de positions parfois très tranchées. S’opposent d’une part ceux qui mettent en avant la contribution essentielle du franc CFA à l’intégration des économies de 15 pays africains, les avantages d’une monnaie stable garantie par un pays important sur la scène économique mondiale et désormais arrimée à la solide monnaie commune européenne, et d’autre part ceux qui y voient le symbole de l’absence d’indépendance monétaire et économique des anciennes colonies africaines.

Les pourfendeurs du franc CFA dénoncent la perpétuation du pacte colonial et l’utilisation de cette monnaie comme un instrument discret et puissant du maintien de la domination économique de la France dans son ancien pré carré. Au cœur des critiques se trouve la règle qui impose à chacune des banques centrales de déposer 50 % de leurs réserves de change – 65 % jusqu’en 2005-, dans un compte d’opérations ouvert au Trésor français. Cette obligation est la contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée du FCFA accordée par la France.

De là à affirmer que les réserves des pays africains de la zone franc «enrichissent la France», c’est un pas que n’hésitent pas à franchir les commentateurs les plus virulents. Tout en reconnaissant la réduction de la marge de manœuvre de la banque centrale induite par le mécanisme du compte d’opérations, un économiste de la BCEAO à Dakar rappelle que toutes les banques centrales du monde placent des réserves sur des places étrangères et que la capacité interne de la BCEAO par exemple à opérer des placements financiers complexes est limitée.

La place de la France dans le dispositif institutionnel des deux banques centrales est un autre sujet de discussion. Le processus d’africanisation des instituts d’émission engagé dans les années 1970 n’a pas mis fin à la présence de représentants de l’État français au sein de leurs conseils d’administration.
Avant une réforme institutionnelle de la BCEAO en avril 2010, la plus importante depuis des décennies, deux représentants de la France siégeaient dans le Conseil d’administration de la banque sur un total de 16 membres. Moins connu, le directeur local de l’Agence française du développement (AFD) était membre du comité national du crédit, organe qui délibère dans chaque État membre sur la distribution du crédit et le volume de l'émission. La politique monétaire de la zone était cependant déterminée par le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances des États membres, sans intervention a priori de la France.

La réforme de 2010 discutée pendant des années, a renforcé l’indépendance de la BCEAO à l’égard de la France. Il n’y a plus de représentant français au sein des nouveaux conseils nationaux de crédit, mais il y aura toujours un représentant de la France au conseil d’administration et un représentant également au comité de politique monétaire, le nouvel organe décisionnel en matière de politique monétaire dans la zone qui se réunit tous les trimestres. Si on fait remarquer au sein de la banque à Dakar que les représentants de la France n’ont qu’une voix aux côtés des représentants des 8 États ouest-africains membres au sein du conseil et du comité, et qu’on salue l’esprit de la récente réforme, beaucoup estiment qu’elle aurait dû aller plus loin. Et que, par exemple, la présence de la France au sein du comité de politique monétaire n’est pas nécessaire, sauf peut-être lors des réunions extraordinaires convoquées en cas de risque de crise monétaire.

Les principes fondamentaux de la gestion du franc CFA qui a survécu à toutes les crises économiques, politiques et sociales dans les pays africains membres en cinquante ans, mais également à la mort du franc français, son étalon historique, semblent éternels. À moins que le projet de création d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest à l’horizon 2018 et le grand dessein d’une union monétaire à l’échelle de tout le continent africain qui figure dans les plans ambitieux de l’Union africaine ne deviennent plus crédibles qu’ils ne l’ont jusque-là été.

(Publié le 22 octobre 2010 sur le site www.rfi.fr)

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