La fenêtre
pour décider d’un report du premier tour de l’élection présidentielle prévu le
28 juillet est en train de se fermer. Le Conseil constitutionnel a validé 28
candidatures et la campagne électorale a commencé ce dimanche 7 juillet. Le
ministre de l’Administration territoriale reste convaincu que « toutes les
conditions pour le déroulement des élections dans la transparence et la
crédibilité » sont réunies. Il a récemment rappelé que son département était le
seul chargé d’organiser l’élection, un message clair adressé à la Commission
électorale nationale indépendante (CENI), doté d’un mandat de supervision, qui
n’a cessé d’évoquer les nombreuses « imperfections » dans la préparation
technique du scrutin.
Un report de courte durée demeure le choix le plus
raisonnable, mais il semble de moins en moins probable. Si le Mali vote le 28
juillet, l’élection risque d’être marquée par de telles insuffisances
techniques et un taux de participation si faible qu’elle pourrait bien ne pas
donner au président élu le degré de légitimité nécessaire pour engager un pays
déboussolé et très affaibli sur la voie de la reconstruction. Si ce mauvais
choix est maintenu, il faudra au moins prendre toutes les mesures sécuritaires,
logistiques et politiques pour limiter la gravité d’une éventuelle crise
postélectorale.
Depuis que
des centaines de personnes sont mortes dans des violences postélectorales en
Côte d’Ivoire et ailleurs sur le continent, beaucoup semblent penser qu’une
élection présidentielle africaine est réussie dès lors qu’elle ne se prolonge
pas en sanglantes confrontations. Il est vrai que le Mali ne court pas ce
risque et cela est heureux. La détermination à maintenir la date du 28 juillet
pouvait même se justifier par de bonnes raisons jusqu’à ces dernières
semaines : elle a servi à mettre la pression nécessaire pour la conclusion
d’un accord de paix préliminaire entre le gouvernement de transition et les
groupes armés touareg du Nord et pour une accélération des préparatifs
électoraux par des autorités de transition.
Mais
aujourd’hui, les mauvaises raisons ont remplacé les bonnes : il faut voter
le 28 juillet, coûte que coûte, même si un grand nombre d’électeurs ne pourront
recevoir leurs cartes d’identification nationale à temps, même si
l’administration n’est pas déployée partout dans le Nord… parce que le
gouvernement malien s’est engagé sur cette date, parce qu’il faut mettre un
terme au plus vite à la transition, parce qu’un président même mal élu sera
plus légitime qu’un président intérimaire, parce qu’un report de quelques
semaines n’améliorera pas significativement la qualité du processus électoral,
parce que les partenaires du Mali veulent des élections avant de débloquer les
généreuses aides promises, parce que le président français a dit entre-temps
qu’il serait intraitable sur la date de l’élection au Mali…
Derrière ces
arguments plus ou moins assumés, il y a un scepticisme quant à l’utilité même
de l’exercice électoral si ce n’est qu’il permet de cocher une case
indispensable pour pouvoir passer ensuite aux choses sérieuses. C’est comme si
chacun avait fini par se convaincre que, bien organisé, populaire, imparfait,
très imparfait ou calamiteux, ce scrutin présidentiel ne fera pas une grande
différence pour l’avenir du Mali. Ce n’est pas totalement faux. Même une
élection crédible et techniquement réussie ne suffirait pas à rebâtir la
démocratie, introduire de l’éthique dans la gestion des affaires publiques,
reconstruire l’appareil sécuritaire et réconcilier la société malienne avec
elle-même. Mais se résigner si facilement à une élection présidentielle
« imparfaite », qui pourrait mobiliser encore beaucoup moins que les
36 % des électeurs inscrits du scrutin présidentiel de 2007, est une curieuse
manière d’encourager la démocratie au Mali.
Si
effectivement, comme tout le laisse penser, les Maliens votent dans trois
semaines, il faudra tout faire pour empêcher une élection imparfaite de se muer
en élection catastrophique. Les autorités maliennes, la mission des Nations
unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) effective seulement depuis le 1er
juillet, et les forces françaises de l’opération Serval doivent rester
vigilantes face au risque d’attentats terroristes pendant la campagne
électorale et le jour du vote. Il faut aussi profiter des trois semaines qui
restent pour distribuer un maximum de cartes, communiquer aux électeurs
l’emplacement des bureaux de vote pour limiter le désordre le jour du vote et
informer largement les candidats et les Maliens sur les garanties de
transparence des opérations postélectorales immédiates (de la centralisation
des résultats à la proclamation des résultats provisoires). La Communauté
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine et les
Nations unies doivent travailler de concert avec les autorités maliennes à la
sécurisation de l’ensemble du processus électoral.
Enfin, il
faut impérativement obtenir de tous les candidats à l’élection présidentielle,
en plus du code de bonne conduite qu’ils ont déjà signé, un engagement solennel
à respecter les résultats de l’élection ou à les contester exclusivement par
les voies légales et à reconnaître le verdict définitif de la Cour
constitutionnelle. Les candidats doivent publiquement confirmer leur
acceptation des imperfections connues et déjà prévisibles du processus
électoral et s’engager à ne pas en faire des arguments de contestations lorsque
26 ou 27 d’entre eux auront été éliminés de la course à l’issue du premier tour.
Louise Arbour et Gilles Yabi, tribune publiée dans le Figaro du 9 juillet
Louise
Arbour est la présidente de l’organisation International Crisis Group et Gilles
Yabi le directeur du Projet Afrique de l’Ouest.
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