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publié le 4 mars 2014 sur le site African Futures : http://forums.ssrc.org/african-futures/2014/03/04/la-democratie-de-langoisse-lafrique-de-louest-et-ses-six-elections-presidentielles-de-2014-2015/
C’est l’estomac noué et la gorge serrée que les citoyens de six
pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) s’apprêtent à entrer dans une période électorale devenue synonyme,
dans une trop grande partie du continent, de risque maximal de crise
violente. Les premiers qui devraient être convoqués aux urnes sont les électeurs
de Guinée Bissau où un scrutin présidentiel et des législatives censés tourner
la page d’une période de transition sont prévus le 13 avril prochain. Dans ce
pays lusophone, le seul de la région avec les îles du Cap-Vert, le calendrier
électoral a été systématiquement perturbé depuis la démocratisation formelle au
début des années 1990 par des coups de force militaires, des assassinats
politiques et dernièrement par la mort naturelle du président. Mais c’est en
2015 que l’actualité électorale sera extraordinairement chargée.[1] Des
élections présidentielles sont prévues au premier trimestre au Nigeria et au
Togo, puis au dernier trimestre au Burkina Faso, en Guinée et en Côte
d’Ivoire.[2]
Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble de l’Afrique de
l’Ouest, les élections présidentielles à venir représentent un enjeu crucial
pour la paix, la stabilité politique mais aussi pour le progrès économique et
social. Si la région n’avait pas connu une série de crises violentes au cours
des dix dernières années, les échéances de 2014-2015 auraient dû surtout servir
de test pour la consolidation de la pratique et de la culture démocratiques
dans chacun des pays concernés et, par là même, pour l’ensemble de cette région
du continent. Cette question ne sera que secondaire autant pour les citoyens
que pour les organisations régionales et internationales à l’approche des
différents scrutins présidentiels. La préoccupation première sera celle
d’éviter que ces moments censés incarner la vitalité démocratique ne se
transforment en périodes d’explosion de violences, ou pire, de basculement dans
des conflits armés. Au regard des évènements politiques et sécuritaires des
dernières années, ces craintes sont légitimes.
Mais quelle est l’ampleur des risques associés à chacune des
élections présidentielles à venir dans la région ? Où sont-ils les plus
importants ? Pour tenter de répondre à ces questions, trois éléments
d’appréciation méritent d’être mobilisés: ce qu’on pourrait appeler l’intensité
anticipée de la compétition présidentielle, le contexte sécuritaire général du
pays et le cadre institutionnel appelé à régenter le processus électoral.
Anticiper l’intensité de la compétition pour la fonction présidentielle revient
à s’interroger, dans chaque pays, sur les chances que le scrutin soit ouvert et
qu’il n’y ait pas de candidat quasiment sûr de gagner bien avant l’échéance.
Classer les pays en fonction de ce premier critère n’est pas si simple, alors
qu’on ne connaît pas encore avec certitude qui seront les candidats en course
pour chacune des élections présidentielles.
En Guinée Bissau, le scrutin doit mettre fin à une situation
d’exception née d’un coup d’Etat…contre un Premier ministre qui était en passe
de devenir président, Carlos Gomes Júnior. Organisée en avril 2012, la dernière
élection présidentielle s’était arrêtée entre les deux tours. Gomes Júnior,
largement en avance à l’issue du premier tour, avait été brutalement sorti du
jeu par les chefs militaires du pays qui lui étaient résolument hostiles.
L’ancien Premier ministre reste en 2014 un acteur politique influent mais
contraint à l’exil d’abord au Portugal et désormais au Cap-Vert, toujours
considéré inacceptable pour la hiérarchie militaire et peut-être pour des
acteurs régionaux importants, on ne voit pas comment il pourrait rentrer dans
son pays en sécurité et se présenter à nouveau à une élection présidentielle.
Il a sollicité l’investiture de son parti, le PAIGC (Partido Africano da
Independência da Guiné e Cabo Verde, Parti africain pour l’indépendance de
la Guinée et du Cap-Vert), mais le choix de ce dernier s’est porté le 2 mars
sur l’ancien ministre des Finances et ancien maire de la capitale, José Mário
Vaz.
Le PAIGC, qui continue à bénéficier de son statut historique de
parti ayant conduit la lutte armée pour l’indépendance des deux anciennes
colonies portugaises d’Afrique de l’Ouest, reste la force politique dominante
dans le pays malgré ses divisions internes. Il partira favori pour les
élections législatives, face au PRS (Partido para a Renovação Social,
Parti pour la rénovation sociale), également divisé, et aux autres partis plus
petits. La compétition pour le fauteuil présidentiel devrait être plus ouverte
en raison notamment de quelques candidatures indépendantes susceptibles de
séduire un électorat désorienté par les luttes politiques partisanes. Mais le
plus dur en Guinée Bissau n’est pas toujours de doter le pays d’un président
démocratiquement élu. C’est de lui garantir de bonnes chances de survie
politique et physique jusqu’à la fin de son mandat, surtout s’il lui venait à
l’esprit de toucher aux intérêts des chefs militaires et/ou des alliés locaux
des réseaux internationaux de trafic de drogue actifs dans ce pays et dans
toute l’Afrique de l’Ouest.
Au Nigeria non plus, on ne sait pas encore avec certitude qui
sera candidat, mais l’attention se concentre sur les intentions du président
sortant Goodluck Jonathan. Evoquant un principe non écrit de rotation entre
candidats nordistes et sudistes désignés par le PDP (People’s Democratic
Party, Parti démocratique du peuple), parti au pouvoir depuis le retour à
la démocratie en 1999, nombreux sont ceux qui s’opposent à une nouvelle
candidature du président actuel. Vice-président en 2007, Jonathan avait hérité
du poste de président après le décès de Umaru Yar’Adua en 2010 avant de se
faire élire en 2011 pour un premier mandat plein de quatre ans. Les défections
de personnalités très influentes du PDP se sont multipliées ces derniers mois
et elles continuent, affaiblissant le camp du président.
L’opposition au PDP semble par ailleurs n’avoir jamais été aussi
forte, en raison de la fusion en février 2013 de quatre partis importants dans
une grande formation, l’APC (All Progressives Congress, Congrès de tous
les progressistes) qui est aussi bien implanté que le parti au pouvoir dans
tous les Etats de la fédération. Les moyens financiers, déterminants dans la
bataille électorale colossale qui se profile, ne manqueront pas d’un côté comme
de l’autre, même si le camp au pouvoir dans cette puissance pétrolière qu’est
le Nigeria disposera inévitablement d’un avantage certain en la matière. La
compétition sera selon toute probabilité très intense. Elle le sera dans tous
les cas, y compris dans l’hypothèse très improbable d’un retrait du président
sortant de la course à l’investiture du PDP, et quel que soit le candidat qui
sera choisi par l’APC. Ce choix ne sera pas aisé et pourrait provoquer des
failles dans l’unité affichée jusque-là par le nouveau grand parti
d’opposition.
Les Togolais devraient, comme les Nigérians, aller aux urnes au
premier trimestre 2015. Le président sortant Faure Gnassingbé, élu dans des
circonstances controversées et violentes en 2005 après la mort naturelle de son
père, Eyadema Gnassingbé, puis réélu en 2010, pourra se porter candidat une
troisième fois sans avoir à faire modifier la Constitution en vigueur. Depuis
le retour forcé à un système démocratique formel, le pouvoir togolais n’a pas
arrêté de jouer avec la disposition de limitation à deux du nombre de mandats
présidentiels successifs. En 2002, une révision constitutionnelle avait non
seulement supprimé cette disposition mais elle avait également consacré le
principe d’une élection présidentielle à un seul tour.
Malgré les recommandations d’un accord politique global signé en
2006 et les demandes répétées de l’opposition, les dispositions actuelles de la
Constitution et du code électoral restent très favorables à une tranquille
pérennité du régime du président Gnassingbé. Le parti présidentiel UNIR (Union
pour la République) dispose d’une majorité absolue au Parlement et s’assurera
que rien ne soit entrepris pour réduire les chances de victoire de son chef en
2015. Par ailleurs, la machine sécuritaire au service du pouvoir et
l’insuffisante coordination des forces politiques de l’opposition ne militent
pas pour l’instant en faveur d’une compétition électorale ouverte et intense
pouvant déboucher sur une alternance politique réelle dans un pays qui n’en a
pas connue depuis le coup d’Etat d’Eyadema Gnassingbé en… 1967.
Au Burkina Faso, il n’y a même pas eu d’alternance
générationnelle comme ce fut le cas au Togo en 2005. Au pouvoir depuis octobre
1987, Blaise Compaoré devrait avoir passé 28 ans à la tête de l’Etat au moment
de l’élection présidentielle de 2015. La Constitution limitant le nombre de
mandats successifs à deux, le président ne pourra être candidat qu’à condition
de réussir à faire passer une nouvelle révision de la loi fondamentale dans les
mois à venir. Cette intention ne faisant plus de doute, la mobilisation des
adversaires à une énième manœuvre visant à prolonger le règne du président
Compaoré a commencé à Ouagadougou. Elle a même affaibli le pouvoir beaucoup
plus rapidement qu’on ne pouvait le prévoir, un large groupe de personnalités
de poids du parti présidentiel, le CDP (Congrès pour la Démocratie et le
Progrès) qui ont toujours soutenu Compaoré, ayant décidé de quitter le navire
pour rejoindre en janvier dernier le camp des adversaires de toute révision
constitutionnelle.
Le Burkina Faso est de fait déjà entré dans une période
tendue et cela devrait durer jusqu’à ce que le pouvoir décide de renoncer
à toute modification constitutionnelle ou choisisse de convoquer un référendum
sur cette question. Dans ce dernier cas, de fortes contestations
sociopolitiques seront inévitables et leurs conséquences incertaines. La
compétition électorale en 2015 sera forcément intense. Dans l’hypothèse
où Compaoré renoncerait à prétendre à un nouveau mandat, la compétition devrait
être très ouverte. Elle pourrait juste être moins tendue et explosive qu’en cas
de candidature du président sortant.
En Guinée, le président Alpha Condé devrait être candidat en
2015 pour un second et dernier mandat. Pas d’obstacle légal à contourner.
Il devrait par contre faire face à des rivaux politiques organisés, déterminés et
capables de le priver d’un nouveau mandat. Arrivé au pouvoir en décembre 2010,
au terme d’un scrutin laborieux et controversé, le président avait été
largement distancé au premier tour par l’ancien Premier ministre Cellou Dalein
Diallo avant de l’emporter au second. Les récentes élections législatives,
elles-aussi organisées au forceps après une série de reports et grâce à une
forte implication internationale, ont encore montré que le camp du président
Condé n’était pas capable d’écraser l’opposition. Cette dernière, même éclatée
en plusieurs pôles, a quasiment fait jeu égal avec le parti du président, le
RPG (Rassemblement du peuple de Guinée) et ses alliés.
L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou
Dalein Diallo reste une force politique significative qui, si elle s’allie à
d’autres partis importants comme l’Union des forces républicaines (UFR) de
Sydia Touré ou le PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) de
Lansana Kouyaté, pourrait devenir majoritaire à l’occasion du second tour d’un
scrutin présidentiel. Dans l’hypothèse, pour le moment improbable, d’une
candidature unique de l’opposition, le président Condé serait particulièrement
menacé par une défaite électorale, malgré les avantages habituels conséquents
d’un président-candidat. Aucun doute n’est permis sur l’intensité de la
bataille pour la présidence de la Guinée à la fin de l’année 2015. Elle
sera l’une des plus rudes de la région.
Au cours de ce même dernier trimestre 2015, les Ivoiriens seront
eux-aussi convoqués aux urnes pour reconduire le président Alassane Ouattara ou
choisir un nouveau chef d’Etat. Arrivé au pouvoir au terme d’une élection
compétitive qui a dégénéré en conflit armé avec celui qui était le président
sortant, Laurent Gbagbo, Ouattara a rapidement indiqué qu’il serait bien
candidat à un second et ultime mandat. Si son parti, le Rassemblement des
républicains (RDR) sera à coup sûr uni derrière le président pour la future
bataille électorale, le soutien franc et massif du Parti démocratique de Côte
d’Ivoire (PDCI), allié important et potentiellement décisif, n’est pas
nécessairement acquis. Le scrutin ne sera pas gagné d’avance mais la faiblesse
et le passif du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Gbagbo, détenu
à la prison de la Cour pénale internationale aux Pays-Bas, sont tels que le
président sortant devrait partir favori. Son bilan en termes de relance de
l’économie ivoirienne et des mesures récentes allant enfin dans le sens de
l’apaisement et de la réconciliation nationale devraient aussi jouer en sa
faveur. On peut anticiper une compétition présidentielle modérément intense
dans un pays dont les électeurs ont encore à l’esprit le traumatisme
postélectoral de 2010-2011.
Dans la deuxième partie de l’essai, l’auteur
examinera des deux autres éléments d’appréciation proposés. Comment le contexte
sécuritaire général de chacun des pays concernés et le cadre institutionnel
dans lequel se dérouleront les élections pourraient-ils influencer le risque de
violences?
[1] L’autre élection présidentielle de l’année
2014, prévue en juin, aura lieu en Mauritanie, pays à cheval sur l’Afrique de
l’Ouest et l’Afrique du Nord qui s’est retiré de la CEDEAO en 2000.
[2] Dans la foulée, au début de l’année 2016,
les électeurs du Niger et du Bénin seront à leur tour appelés aux urnes pour
choisir leurs chefs d’Etat. Dans les deux pays, l’atmosphère politique est déjà
marquée par de fortes tensions à plus de deux ans des échéances électorales. Le
Cap-Vert, la Gambie puis le Ghana seront aussi concernés par les élections au
second semestre 2016.
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