CE QUE NOUS OFFERT LES "HOMMES ET LES FEMMES INTEGRES"
Un
hasard, plutôt
heureux celui-là,
il en était
temps, a voulu que j’écrive ces lignes quelques semaines après l’IPD,
comme on l’appelle à
Ouagadougou. L’insurrection populaire démocratique. Celle qui a fait tomber le
doyen des chefs d’Etat en exercice en Afrique de l’Ouest, Blaise Compaoré, après 27 années au pouvoir. Victime de son entêtement à rester aux commandes du Burkina Faso par
une énième manipulation de la Constitution de son
pays, isolé
et déconnecté de la réalité dans son palais de marbre vert de Kosyam,
le grand tacticien froid a dû quitter son pays comme un riche brigand. Dans un
convoi d’une trentaine de véhicules tout terrain et de grosses berlines
allemandes. Protégé par le régiment de sécurité présidentielle, exfiltré par les forces françaises puis transféré à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire. C’est ainsi que prit fin le
long règne
du président Compaoré, incontournable médiateur, et acteur, de toutes les crises
ouest-africaines ou presque de ces quinze dernières années.
N’est-il
pas trop tôt
pour se réjouir
de la « révolution
burkinabè », alors qu’une transition délicate vient seulement de commencer,
qu’elle n’est pas à l’abri de l’influence de militaires ayant servi jusqu’au
bout le président
déchu, et que d’anciens hommes clés du système Compaoré, qui ont su abandonner le navire avant
qu’il ne coule, sont capables de récupérer le pouvoir au sortir de la transition ?
Faut-il se réjouir
dès maintenant de l’IPD alors que la chute de Compaoré et l’éventuel démantèlement de son système efficace de surveillance du territoire
et de son réseau
d’alliances dans toute l’Afrique de l’Ouest et dans le Sahel, peuvent fragiliser
effectivement le pays et la région dans une période de grande vulnérabilité ?
Oui,
le départ forcé de Compaoré est une bonne nouvelle. Il aurait pu
tranquillement terminer son mandat en novembre 2015 et partir à peu près dignement. Encouragé par la famille, le clan et tous les autres
opportunistes bien plus soucieux de la conservation des fortunes accumulées que par l’avenir personnel du président, ce dernier a tenté un passage en force aussi formellement légal que profondément immoral. Il a joué et il a perdu. Il n’a pas perdu à cause d’un simple concours de
circonstances favorable aux masses populaires qui ont envahi les rues de
Ouagadougou.
Il
n’a pas perdu par manque de chance, cette fois. Il a perdu parce que les
manifestants burkinabè ont atteint la masse critique qui permet de
surprendre des régimes
trop sûrs
de leur capacité
à faire peur aux citoyens anonymes, à acheter les éventuels leaders d’opinion et à ridiculiser leurs opposants les plus irréductibles. Les manifestants burkinabè n’auraient jamais pu atteindre cette masse
critique si une grande variété d’acteurs influents de la société politique et de la société civile n’avaient pas su s’entendre sur une
seule chose : le refus de la manœuvre du pouvoir visant à faire sauter la disposition
constitutionnelle de limitation des mandats présidentiels.
Mais
il n’a pas suffi de s’entendre sur un objectif. Il a aussi fallu organiser une
mobilisation active d’une partie conséquente de la population urbaine, largement
composée
de jeunes. Une telle mobilisation requiert de la stratégie, de la tactique, des plans, des moyens,
une capacité
à réagir vite et à s’adapter, et une détermination à aller jusqu’au bout. Autant dire que
cette mobilisation a été le résultat d’un effort maintenu dans la durée. La réussite de l’IPD, c’est celle d’une revendication de changement certes, mais
c’est aussi celle de l’action collective et celle du travail. C’est pour cela
qu’il faut s’en réjouir.
C’est pour cela que le signal donné par les acteurs du changement au Burkina est
positif et fort pour tous les autres pays de la région et du continent où les dirigeants vont trop loin dans leur
attitude condescendante et méprisante à l’égard de leurs concitoyens.
Heureusement,
ils ne sont plus si nombreux les pays africains qui sont dans cette catégorie. En réalité, le Burkina Faso faisait partie des rares
pays d’Afrique de l’Ouest qui n’avaient pas connu d’alternance démocratique depuis le début des années 1990. Il faisait partie de ces pays dont
les présidents
ont su accepter la libéralisation politique tout en s’assurant qu’elle ne
changerait rien à
l’essentiel : leur maintien au pouvoir. Le Burkina ne fera que rejoindre
le groupe majoritaire de pays africains où l’alternance politique, à la suite d’élections certes à la crédibilité variable,
est devenue une réalité depuis de nombreuses années. C’est précisément pour cela qu’il ne faut pas vouloir
juger le succès
de la révolution
populaire burkinabè
à l’aune de ce que sera le Burkina Faso après la transition.
Rien
ne garantit que les futurs dirigeants élus démocratiquement sauront satisfaire les
attentes des populations en matière de sécurité et d’amélioration de leurs conditions économiques. Un changement de régime n’est pas facile à obtenir. Mais un changement radical et
durable de la gouvernance d’un pays est encore plus difficile à provoquer. Les acteurs du « coup de balai » de Ouagadougou le savent : si leur
objectif est de bâtir
un nouveau Burkina, beaucoup moins corrompu, plus équitable et plus agréable à vivre, le travail ne fait que commencer. Cela
n’enlève rien au caractère absolument salutaire et rafraichissant
de l’insurrection populaire démocratique du 30 octobre 2014.
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