vendredi 9 janvier 2015

Changer d'avenir en Afrique de l'Ouest (3) : Ce que nous rappellent les casques bleus et les 4x4 blancs


CE QUE NOUS RAPPELLENT LES CASQUES BLEUS ET LES 4x4 BLANCS
Un hasard, affligeant pour notre prétention à la dignité et à l’indépendance, - on verra pourquoi plus loin-, a voulu que j’écrive ces lignes quelques semaines après une courte visite à Bamako, la deuxième après la fin de la transition post-coup d’Etat. J’étais ravi de retrouver de nombreux amis résidents de longue date à Bamako et quelques autres arrivés au cours des derniers mois pour prendre fonction au sein de la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA). Nombre des fonctionnaires de cette nouvelle mission onusienne croient profondément et sincèrement au mandat et aux responsabilités qui leur sont assignés et n’y sont pas seulement pour les avantages offerts par les Nations unies. Ils veulent travailler dur, et prendre des risques, pour aider le Mali à sortir de la crise multiforme dans laquelle il s’est engouffré depuis janvier 2012.
A Bamako, on est certes loin de la pesante incertitude sécuritaire qui continue à planer sur les régions de Tombouctou, Gao et Kidal dans le nord de ce vaste pays. Dans la capitale, pas d’attentat, pas d’explosion de mines, pas de tirs de roquettes de jihadistes présumés. On espère que cela durera. Le Bamako de fin 2014 ressemble beaucoup à première vue à celui où j’ai vécu en 2009 et 2010. En réalité, il a changé. Le changement le plus visible, c’est l’apparition de la flotte de véhicules 4 x 4 Toyota blancs frappés du sigle « UN » des Nations unies et leur agglomération dans le périmètre de l’hôtel Amitié au cœur du centre ville de Bamako, en face du siège de l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Mali (ORTM).
Privilégié conscient de l’être dans une ville où la majorité des résidents se battent au quotidien pour avoir de quoi assurer les besoins fondamentaux, j’avais l’habitude de fréquenter l’hôtel Amitié au plus chaude de l’année pour sa belle piscine. Voir le plus grand hôtel de Bamako qui abritait toutes les semaines des conférences et ateliers régionaux transformé en quartier général d’une mission de maintien de la paix des Nations unies produit un désagréable pincement au cœur. Je n’ai rien contre les missions de paix des Nations unies qui font ce qu’elles peuvent pour aider les pays où elles s’installent, mais « ce qu’elles peuvent » est rarement décisif pour la consolidation durable de la paix.
Chacun sait au Mali qu’une mission de cette envergure ne s’installe pas pour un ou deux ans mais pour près d’une décennie. Ou plus. Chacun sait également, y compris au sein de la MINUSMA que personne ne sait ce qu’une telle mission pourra réaliser dans un contexte passablement complexe d’imbrication de menaces terroristes, de revendications identitaires, de croisement d’intérêts antagonistes et opportunistes d’une multitude d’acteurs locaux et étrangers et de persistance des modes de  gouvernance politique qui maintiennent l’Etat malien dans un grave état de faiblesse généralisée.
Si une mission de maintien de la paix de l’ONU, avec ses gros véhicules et les inévitables effets collatéraux associés au débarquement de centaines de fonctionnaires internationaux au pouvoir d’achat conséquent, s’est installée dans une nouvelle capitale ouest-africaine, après Monrovia, Freetown et Abidjan, c’est parce la région semble faire tout ce qu’elle peut pour créer les conditions d’un approfondissement de sa vulnérabilité et de sa dépendance à l’égard de la « communauté internationale ». La crise au Mali  n’a pas exposé seulement la faillite d’un des Etats de la région. Elle a exposé la vulnérabilité collective d’une Afrique de l’Ouest dont les dirigeants politiques et militaires sont pétrifiés face à l’ampleur des menaces sécuritaires.
L’Afrique de l’Ouest n’est certes pas responsable du désastre libyen, aux conséquences dévastatrices et durables sur la sécurité de l’espace sahélo-saharien et au-delà. On connaît les principaux responsables de la désintégration de la Libye, le régime de Kadhafi lui-même et ses anciens amis d’Occident, partenaires d’affaires et fournisseurs d’armes qui ont décidé de l’éliminer brutalement sans se soucier des conséquences sécuritaires désastreuses parfaitement prévisibles pour la Libye, tous les pays voisins et une large partie du continent. Mais cela ne change rien à la réalisation affligeante de l’incapacité collective de l’Afrique de l’Ouest, et du continent, à faire face à l’adversité.
La crise au Mali et ses évidents prolongements dans le Sahel, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord, a créé un boulevard pour un nouvel interventionnisme militaire extérieur sur le continent, incarné par le dispositif français Barkhane dans le Sahel, successeur de l’opération Serval limitée au Mali. Dans le voisinage du Sahel ouest-africain, la République centrafricaine est, elle aussi, devenue en 2014 le pays d’accueil d’une nouvelle mission de maintien de la paix de l’ONU en Afrique et d’une nouvelle opération militaire française, Sangaris. Que dire ? Comment s’en offusquer ? Comment le regretter ? Peut-on en vouloir à la France et crier à l’impérialisme et au néocolonialisme après ses interventions militaires au Mali et en République centrafricaine (RCA) ?
En RCA, acteurs nationaux, voisins opportunistes, puissances régionales, réseaux criminels transnationaux se sont donné la main pour enfoncer un pays qui ne s’est jamais réellement construit dans un terrible déferlement de violences. En trois ans, le résultat est là : une large bande de l’Afrique, de l’Ouest à la Corne, a vu la violence armée et l’insécurité prendre de nouvelles formes et a, de fait, invité à un accroissement de la présence militaire extérieure sur son sol et dans son ciel. J’ai peut-être tort. Mais je ne suis pas sûr que la banalisation de la présence de gros porteurs des armées française et américaine dans les aéroports civils de la région soit de bon augure pour l’avenir. Je ne suis pas sûr que l’installation de bases de drones américains et français en Afrique de l’Ouest soit une excellente nouvelle pour les populations de la région. Je n’en suis pas certain. Mais je peux me tromper. J’aimerais beaucoup me tromper.

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