CE QUE NOUS RAPPELLENT LES CASQUES BLEUS ET LES 4x4 BLANCS
Un
hasard, affligeant pour notre prétention à la dignité et à l’indépendance, - on
verra pourquoi plus loin-, a voulu que j’écrive ces lignes quelques semaines après une courte visite à Bamako, la deuxième après la fin de la transition post-coup d’Etat.
J’étais ravi de retrouver de nombreux amis résidents de longue date à Bamako et quelques autres arrivés au cours des derniers mois pour prendre
fonction au sein de la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA). Nombre des
fonctionnaires de cette nouvelle mission onusienne croient profondément et sincèrement au mandat et aux responsabilités qui leur sont assignés et n’y sont pas seulement pour les
avantages offerts par les Nations unies. Ils veulent travailler dur, et prendre
des risques, pour aider le Mali à sortir de la crise multiforme dans laquelle il
s’est engouffré
depuis janvier 2012.
A
Bamako, on est certes loin de la pesante incertitude sécuritaire qui continue à planer sur les régions de Tombouctou, Gao et Kidal dans le
nord de ce vaste pays. Dans la capitale, pas d’attentat, pas d’explosion de
mines, pas de tirs de roquettes de jihadistes présumés. On espère que cela durera. Le Bamako de
fin 2014 ressemble beaucoup à première vue à celui où j’ai vécu en 2009 et 2010. En réalité, il a
changé. Le changement le plus visible, c’est l’apparition de la flotte de véhicules 4 x 4 Toyota blancs frappés du sigle « UN » des Nations unies et leur agglomération dans le périmètre de l’hôtel Amitié au cœur du centre ville de Bamako, en face du siège de l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Mali (ORTM).
Privilégié conscient de l’être dans une ville où la majorité des résidents se battent au quotidien pour avoir
de quoi assurer les besoins fondamentaux, j’avais l’habitude de fréquenter l’hôtel Amitié
au plus chaude de l’année pour
sa belle piscine. Voir le plus grand hôtel de Bamako qui abritait toutes les
semaines des conférences
et ateliers régionaux
transformé
en quartier général d’une mission de maintien de la paix
des Nations unies produit un désagréable pincement au cœur. Je n’ai rien contre les missions de
paix des Nations unies qui font ce qu’elles peuvent pour aider les pays où elles s’installent, mais « ce qu’elles peuvent » est rarement décisif pour la consolidation durable de la
paix.
Chacun
sait au Mali qu’une mission de cette envergure ne s’installe pas pour un ou
deux ans mais pour près d’une décennie. Ou plus. Chacun sait également, y compris au sein de la MINUSMA que
personne ne sait ce qu’une telle mission pourra réaliser dans un contexte passablement
complexe d’imbrication de menaces terroristes, de revendications identitaires,
de croisement d’intérêts antagonistes et opportunistes d’une
multitude d’acteurs locaux et étrangers et de persistance des modes de gouvernance politique qui maintiennent l’Etat
malien dans un grave état de faiblesse généralisée.
Si
une mission de maintien de la paix de l’ONU, avec ses gros véhicules et les inévitables effets collatéraux associés au débarquement de centaines de fonctionnaires
internationaux au pouvoir d’achat conséquent, s’est installée dans une nouvelle capitale
ouest-africaine, après
Monrovia, Freetown et Abidjan, c’est parce la région semble faire tout ce qu’elle peut pour
créer les conditions d’un approfondissement de
sa vulnérabilité et de sa dépendance à l’égard de la « communauté
internationale ». La crise au Mali
n’a pas exposé
seulement la faillite d’un des Etats de la région. Elle a exposé la vulnérabilité collective d’une Afrique de l’Ouest dont
les dirigeants politiques et militaires sont pétrifiés face à l’ampleur des menaces sécuritaires.
L’Afrique
de l’Ouest n’est certes pas responsable du désastre libyen, aux conséquences dévastatrices et durables sur la sécurité de l’espace sahélo-saharien et au-delà. On connaît les principaux responsables de la désintégration de la Libye, le régime de Kadhafi
lui-même et ses anciens amis d’Occident,
partenaires d’affaires et fournisseurs d’armes qui ont décidé de l’éliminer brutalement sans se soucier des
conséquences sécuritaires désastreuses parfaitement prévisibles pour la Libye, tous les pays
voisins et une large partie du continent. Mais cela ne change rien à la réalisation affligeante de l’incapacité collective de l’Afrique de l’Ouest, et du
continent, à
faire face à
l’adversité.
La
crise au Mali et ses évidents prolongements dans le Sahel, l’Afrique de
l’Ouest et l’Afrique du Nord, a créé un boulevard pour un nouvel interventionnisme
militaire extérieur
sur le continent, incarné par le dispositif français Barkhane dans le Sahel, successeur de
l’opération Serval limitée au Mali. Dans le voisinage du Sahel
ouest-africain, la République
centrafricaine est, elle aussi, devenue en 2014 le pays d’accueil d’une
nouvelle mission de maintien de la paix de l’ONU en Afrique… et d’une nouvelle opération militaire française, Sangaris. Que dire ? Comment
s’en offusquer ? Comment le regretter ? Peut-on en vouloir à la
France et crier à l’impérialisme et au néocolonialisme après ses interventions
militaires au Mali et en République centrafricaine (RCA) ?
En
RCA, acteurs nationaux, voisins opportunistes, puissances régionales, réseaux criminels transnationaux se sont donné la main pour enfoncer un pays qui ne s’est
jamais réellement
construit dans un terrible déferlement de violences. En trois ans, le résultat est là : une large bande de l’Afrique, de l’Ouest à la Corne, a vu la violence armée et l’insécurité prendre de nouvelles formes et a, de fait,
invité à un accroissement de la présence militaire extérieure sur son sol et dans son ciel. J’ai
peut-être tort. Mais je ne suis pas sûr que la banalisation de la présence de gros porteurs des armées française et américaine dans les aéroports civils de la région soit de bon augure pour l’avenir. Je
ne suis pas sûr
que l’installation de bases de drones américains et français en Afrique de l’Ouest soit une
excellente nouvelle pour les populations de la région. Je n’en suis pas certain. Mais je
peux me tromper. J’aimerais beaucoup me tromper.
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