CE QUE NOUS DIT BOKO HARAM ENTRE DEUX BOMBES
Le hasard, mauvais aussi celui-là, a voulu que j’écrive ces lignes au moment où une bonne partie du monde a fini par entendre parler de l’existence d’un groupe appelé Boko Haram dans un pays qui s’appelle le Nigeria, pays le plus peuplé du continent africain. C’est grâce aux fameux réseaux sociaux, Twitter en particulier, que le monde a découvert une tragédie meurtrière qui se joue au nord du Nigeria depuis plusieurs années. « Bring Back Our Girls », ou « Ramenez nos filles », c’est ce slogan tweeté et retweeté aussi bien par des stars que par des milliers d’anonymes de par le monde qui a attiré l’attention internationale sur un groupe armé islamiste insaisissable qui a multiplié des attaques terroristes dans plusieurs Etats du nord-est de la fédération nigériane, faisant des milliers de morts parmi les populations civiles.
Le hasard, mauvais aussi celui-là, a voulu que j’écrive ces lignes au moment où une bonne partie du monde a fini par entendre parler de l’existence d’un groupe appelé Boko Haram dans un pays qui s’appelle le Nigeria, pays le plus peuplé du continent africain. C’est grâce aux fameux réseaux sociaux, Twitter en particulier, que le monde a découvert une tragédie meurtrière qui se joue au nord du Nigeria depuis plusieurs années. « Bring Back Our Girls », ou « Ramenez nos filles », c’est ce slogan tweeté et retweeté aussi bien par des stars que par des milliers d’anonymes de par le monde qui a attiré l’attention internationale sur un groupe armé islamiste insaisissable qui a multiplié des attaques terroristes dans plusieurs Etats du nord-est de la fédération nigériane, faisant des milliers de morts parmi les populations civiles.
Les
premières dames, à commencer par l’Américaine Michelle Obama, des stars de
Hollywood, des ex-épouses
de président, et bien d’autres leaders d’opinion
internationaux, africains, nigérians, ont réclamé le « retour de nos filles », plus de 200 filles enlevées par Boko Haram en avril 2014. La « communauté internationale », c’est-à-dire les puissances dominantes de la planète, et le gouvernement fédéral nigérian n’ont pas eu d’autre choix que de réagir à cette mobilisation virtuelle soudaine. Des
sommets et des réunions
ont eu lieu à
Paris et Londres pour trouver des moyens concrets d’aider le Nigeria à retrouver les filles enlevées et mettre fin à la campagne meurtrière de Boko Haram.
Plusieurs
mois plus tard, les pauvres filles kidnappées à Chibok, et promises selon le leader de
Boko Haram à
la conversion forcée
à l’Islam authentique et au mariage, n’avaient toujours pas été retrouvées. Les médias qui avaient abondamment relayé la mobilisation Bring Back Our Girls sur les réseaux sociaux sont passés à autre chose. Entre-temps, les animateurs
les plus actifs des réseaux sociaux, et les médias internationaux, se sont tournés vers les évènements dramatiques en Syrie et en Irak. Les
évènements au Moyen-Orient, ainsi que le
conflit en Ukraine ont montré à quel point la propension des sociétés humaines à la violence cohabitait sans aucun mal avec
une accumulation matérielle
et un progrès
technologique sans précédent. Et avec ce faux sentiment de conscience et
d’empathie universelles procuré par l’accès à une avalanche d’informations internationales
quotidiennement servies par les chaînes de télévision et de radio « mondiales ».
Toujours
est-il que Twitter et Facebook n’ont pas ramené les Nigérianes enlevées et n’ont pas affaibli Boko Haram. Le
groupe a multiplié
les attaques et entrepris de prendre le contrôle d’un territoire de plus en plus vaste
allant du nord-est du Nigeria aux zones frontalières du nord du Cameroun. Longtemps focalisés sur le Nigeria, Boko Haram et ses
probables excroissances sont devenus depuis une menace grave et immédiate pour la stabilité du Cameroun. La mobilisation citoyenne
internationale stimulée par les réseaux sociaux sur Internet a sans doute
poussé à de nouvelles promesses d’aide concrète militaire et sécuritaire des partenaires occidentaux du
Nigeria à
la lutte contre Boko Haram sur le terrain. Des décisions ont été prises dans ce sens à Paris, Londres et Washington DC, en présence de hautes autorités du gouvernement nigérian. Plusieurs mois plus tard, il y a peu
de signes d’une amélioration
de la situation sécuritaire
et humanitaire au nord-est du Nigeria.
En
réalité, à l’approche d’élections présidentielles et générales dans un pays où des centaines de personnes ont été tuées au lendemain des élections précédentes en 2011, pourtant jugées moins truquées que les précédentes, c’est à un nouveau déferlement de violences qu’on s’attend au
premier trimestre 2015, et pas seulement au nord-est. Que Boko Haram soit enfin
affaibli ou non par les armées nigériane et camerounaise ne changera probablement pas grand
chose au bilan humain prévisible des batailles politiques à venir dans ce pays où l’accès à une portion de l’immense rente pétrolière est une affaire de vie ou de mort.
Ce
que nous dit la tragédie
du Nord-Nigeria, c’est qu’aucune nouvelle technologie, aucune mobilisation
bruyante sur les réseaux
sociaux et les médias,
aucune aide militaire ou logistique, ne saurait constituer une réponse efficace à une situation catastrophique créée par des décennies d’indifférence à une montée de toutes les formes d’extrémisme ou, pire, d’encouragement de l’extrémisme, de la violence et du nihilisme par
des élites locales, régionales ou nationales exclusivement
concentrées
sur la poursuite de leurs intérêts privés.
Réduire l’explication de la crise sécuritaire au nord du Nigeria au fléau de la corruption serait simpliste. Ceux
qui ont vécu
dans cette partie du pays et ont par exemple enseigné dans les années 1980 dans les universités alors réputées du Nord, comme celle de Zaria, témoignent de l’ancienneté des mouvements islamistes radicaux qui se
sont progressivement imposés par la violence dans les milieux estudiantins et
ont fait fuir les esprits libres qui ne voulaient pas assujettir tous les
savoirs aux dogmes religieux. Le ferment de l’intolérance religieuse n’est pas nécessairement un produit de la corruption et
de la faillite des Etats.
Mais
sans l’ampleur abyssale atteinte par la corruption, et sans l’ignorance totale,
sinon le mépris
profond, de l’intérêt général qui caractérise les pratiques politiques, économiques et sociales des acteurs
dominants du pays depuis des décennies, les idéologies sectaires les plus dangereuses
n’auraient jamais pu prendre pied aussi solidement. Et sans la corruption et le
cynisme des riches et des puissants, on ne peut pas expliquer le spectacle désastreux offert par les forces armées de la grande puissance africaine, débordées par les criminels de Boko Haram, craintes
pour leurs exactions récurrentes par les populations civiles qu’elles sont
censées protéger et accusées publiquement d’incompétence et de corruption par leurs
partenaires internationaux comme les Etats-Unis.
La
situation du nord-est du Nigeria en 2014, tout comme celles, tout autant marquées par une banalisation de la violence et
du crime, du Delta du Niger ou du Middle
Belt où
les massacres à
dimension ethnique mais profondément politiques font des centaines de morts chaque
année, sont le résultat de décennies de renonciation collective des élites du pays à tenter de donner du sens à l’appartenance à une nation extrêmement diverse en l’unissant derrière quelques valeurs communes. La fabuleuse
manne pétrolière a constitué le ciment de cette œuvre de destruction ou plus exactement de
non construction d’une fédération nigériane dont l’Afrique de l’Ouest et
l’Afrique toute entière
aurait pu, et aurait dû, être fière.
Mais
combien sommes-nous en Afrique de l’Ouest à nous interroger avec angoisse sur les
perspectives politiques et sécuritaires du Nigeria et de ses 170 millions
d’habitants ? Même
en se limitant aux cercles des dirigeants politiques et de ceux qui les
conseillent et les influencent, combien dans la région suivent avec une réelle attention et essaient de comprendre
les dynamiques nigérianes ?
Les voisins immédiats
suivent quelque peu la situation et s’inquiètent notamment de la dimension prise par le
terrorisme de Boko Haram après des années d’indifférence. Le Nigeria leur fait peur, - ce
n’est généralement pas nouveau -, mais la peur ne
sert ni à
se prémunir des risques immédiats, ni à se projeter vers l’avenir et à élaborer des stratégies de long terme.
La
réalité est pourtant bien simple : le jour où les tensions internes du Nigeria dépasseront un certain seuil, que personne ne
connaît à l’avance, les mouvements massifs de
populations hors des frontières seront inévitables et les conséquences seront incalculables pour ses
voisins et pour toute l’Afrique de l’Ouest. Que l’on aime ou pas le Nigeria,
que l’on en ait peur ou pas, n’a aucune importance. Lorsqu’on vit en Afrique de
l’Ouest et qu’on veut continuer à y vivre en paix pendant les décennies à venir, on doit s’intéresser à l’évolution du Nigeria et travailler ensemble à ramener ce pays sur une trajectoire plus
rassurante que celle qu’elle emprunte actuellement.
Par
ailleurs, de la même
manière qu’il est vain et inconséquent d’accabler les pays frappés au cœur par Ebola et d’espérer les isoler totalement pour se protéger, il est vain et inconséquent de considérer le Nigeria, le pays qui abrite le siège et constitue le socle de la CEDEAO, comme
un pays déviant
et effrayant dont il faudrait se protéger. En réalité, les défis auxquels fait face le Nigeria, et les
principales tares qui alimentent la violence et la fragmentation de sa société, ne sont pas différents de ceux des autres pays de la région. Est-on bien sûr, par exemple, que le niveau de corruption
serait très
différent de celui du Nigeria dans nombre de
petits pays d’Afrique de l’Ouest s’ils bénéficiaient également depuis les premières années de leur constitution comme Etat indépendants d’une rente pétrolière équivalente ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire