Deux visions de l’avenir
L’Afrique de demain peut
s’appréhender selon deux perspectives distinctes. La première l’imagine dans la
continuité des tendances actuelles. Sans injection de nos désirs, de nos rêves,
de nos espoirs. La seconde projection est celle du continent tel qu’il pourrait
être, ou plutôt telle que nous pensons qu’il pourrait être, si les Africains prenaient
ici et maintenant la responsabilité de dessiner, eux-mêmes, les contours de son
avenir. Cette perspective inclut la nécessité d’une prise de conscience
collective de l’influence décisive que chaque femme et chaque homme peut avoir
sur l’avenir de son pays, de la société à laquelle elle ou il s’identifie et,
par extension, sur l’ensemble du continent.
La première projection, qui
s’inscrit dans le prolongement des tendances actuelles, se caractérise par la
diversité des trajectoires. Il s’agit des trajectoires des différents pays et
des différentes sociétés qui composent cette Afrique. Cette diversité a
évidemment toujours été présente. Elle s’observe lorsqu’on examine le niveau de
développement politique des pays, en termes de nature plus ou moins
démocratique des systèmes politiques ou d’étendue de l’espace de libertés dont
disposent les individus.
Cette diversité est également
présente sur les plans économique et social et se manifeste par un écart
entre des pays qui affichent des signes très clairs de progrès et de croissance
économique et des pays qui donnent l’impression, au contraire, de stagner et
peut être même de régresser en raison de troubles politiques récurrents, de
conflits armés ou d’une gouvernance catastrophique.
Une diversité de trajectoires
Cette diversité, aujourd’hui
bien ancrée sur le continent, sera toujours présente demain, ce qui nécessite
d’envisager des futurs africains tout en nuances et en variations en fonction
des lieux où l’on se situera dans le vaste espace du continent.
Elle devrait cependant s’atténuer
progressivement en particulier dans le registre des régimes politiques et des libertés
individuelles dans une grande partie du continent. En effet, on observe des signes de plus en plus clairs d’une
convergence des aspirations des populations quant à la nature des rapports
qu’elles souhaitent entretenir avec leurs dirigeants et in fine, quant au type de régime politique et de modèle de société que
les populations africaines, particulièrement les jeunes générations, souhaitent
voir émerger.
Cette évolution va dans le sens
d’un rapprochement entre les trajectoires politiques des pays du continent,
allant dans la direction générale de la démocratisation et d’un accroissement
de l’espace de libertés des populations. Dans les pays aujourd’hui particulièrement
en retard dans le domaine du respect et de la promotion des droits et des libertés
de leurs peuples, la pression pour le changement politique sera de plus en plus
forte.
Cette pression interne est facilitée
par la mondialisation, qui donne un accès plus facile que jamais dans
l’histoire de l’humanité, à l’information sur les évolutions des sociétés les
plus proches géographiquement et culturellement comme sur les plus éloignées.
Dans ce contexte, restreindre le champ de l’imagination et des rêves, même les
moins raisonnables, des populations deviendra une gageure pour les Etats
autoritaires et ceux qui croient pouvoir les maintenir dans la longue durée.
Il faut cependant se garder de
toute illusion : la conjonction de fortes aspirations à des changements
politiques, économiques et sociaux et d’un état réel des sociétés africaines
actuelles reflétant les décennies
perdues en matière de développement éducatif, humain et institutionnel a autant
de chances de produire des crises majeures, potentiellement violentes, que des transitions
douces aboutissant à un mieux-être collectif.
L’ « Africa rising »
Les évolutions politiques et
économiques observables depuis plus d’une décennie semblent caractériser une
phase historique que beaucoup apparentent à une renaissance africaine. Cette
perception positive du présent et du futur du continent contraste radicalement avec
le discours, encore en vogue il n’y a pas si longtemps, sur une Afrique en
perdition. Aujourd’hui, l’heure est à l’«Africa rising » et à la
célébration d’une émergence imminente, voire déjà en cours.
La réalité d’une Afrique qui fait
des progrès sur le plan économique et qui en fera encore davantage au cours des
années et décennies à venir ne représente pas une surprise. La théorie de la
convergence, bien connue des économistes qui étudient le phénomène de la croissance, stipule que les pays à faible
revenu ont tendance à croître plus rapidement, toutes choses égales par ailleurs, que les pays qui disposent déjà d’un
revenu élevé. Dans le contexte d’une globalisation de l’économie libérale,
marquée en particulier par une grande mobilité des capitaux, il n’est pas surprenant
que l’Afrique soit présentée comme « la dernière frontière » de la
croissance mondiale.
Il apparait aussi clairement que
l’accroissement démographique soutenu en Afrique, contrastant avec les
évolutions dans les autres régions du monde, se traduira par des marchés de
consommation de plus en plus importants, ce qui devrait stimuler les investissements
qu’ils soient étrangers ou locaux.
Malgré les contraintes toujours nombreuses à une activité économique formelle
très dynamique, les besoins de biens et de services de tous ordres
s’accroîtront à un tel rythme qu’il y a peu de chances que les économies
africaines empruntent des sentiers de faible croissance ou de stagnation.
Cependant, l’obsession d’une
émergence qui ne se mesurerait que par les taux de croissance économique ne
devrait pas représenter l’ultime horizon pour le continent. Compte tenu de
l’état actuel des populations africaines, l’ « Africa rising »
devrait peut-être se mesurer davantage à l’aune de l’amélioration du bien-être
collectif dans chacun des pays du continent.
Ressembler aux autres ou tracer
son propre chemin ?
L’Afrique de demain, beaucoup
d’Africains et de non Africains semblent l’imaginer ressembler aux continents
qui ont partagé avec elle pendant plusieurs décennies le statut peu flatteur de
« tiers monde » ou de « monde sous-développé » et qui
l’ont ensuite abandonnée, seule, à sa pauvreté et à sa dépendance extrême à
l’égard de la générosité et des intérêts bien compris du monde développé. La
finalité de l’émergence africaine serait donc de rattraper les régions
dynamiques d’Asie et d’Amérique latine qui comptent désormais dans leurs rangs
des puissances économiques mondiales.
Ces régions du monde abritent des
pays qui ont atteint et maintenu des taux de croissance élevés pendant de
longues années, ont significativement augmenté leur niveau moyen de revenu et,
pour certains comme la Chine, réduit de manière incontestable le taux de
pauvreté au sein de leurs populations. Mais les situations restent très
contrastées aussi sur ces continents, et dans nombre de pays dits émergents, le
dynamisme économique cohabite parfaitement avec une montée sans précédent des inégalités
sociales, une dégradation accélérée de l’environnement, la corruption des
pouvoirs politiques et des niveaux élevés de violences et de criminalité qui
rendent la vie quotidienne de la majorité de leurs populations assez peu
enviable.
Censée être la dernière région
du monde à entrer pleinement dans la mondialisation, surtout celle de
l’économie, de la finance et de l’information, l’Afrique a le privilège de
pouvoir observer et apprécier les avantages mais aussi les coûts induits par
les différents modèles et trajectoires de développement économique et social d’une
grande diversité de pays.
L’indéniable dynamisme de
l’économie africaine est une excellente nouvelle mais pour qu’il s’inscrive
dans la durée tout en produisant davantage de paix, de cohésion et
d’intégration à l’échelle continentale, il faut que les Africains regardent
leurs sociétés telles qu’elles sont aujourd’hui en face, avec une saine
appréciation de leurs richesses, de leur potentiel, de leurs tares et des défis
immenses qui les attendent. Et il faut aussi qu’ils regardent le reste du monde
tel qu’il est : complexe, instable, imprévisible, offrant autant
d’opportunités que de graves menaces.
Construire un futur africain avec
ambition et réalisme
L’Afrique de demain, sans
envolée lyrique ni projection irénique, doit être accrochée au réel et au
registre des possibles. Cette Afrique rêvée, mais plausible, est celle dans
laquelle les différentes régions du continent sont des endroits où la majorité
des résidents vivent décemment et dignement, et où le mieux-être résulte de la
constitution progressive de réseaux de plus en plus larges de femmes et
d’hommes, de pays et de culture différents, qui ont su développer une vision
commune des valeurs primordiales à cultiver pour vivre ensemble.
Dessiner un meilleur avenir
implique de se concentrer sur l’objectif de construire des sociétés africaines apaisées,
dignes, productives et solidaires. Cette ambition ne doit pas se résumer à la
volonté de résoudre des problèmes, de surmonter des obstacles, de conjurer le
mauvais sort, de survivre comme communauté africaine dans un monde où les plus
puissants et les plus riches d’aujourd’hui ont de bonnes chances de conserver
une longueur d’avance sur les autres.
L’ambition des jeunes
générations africaines, du nord au sud et de l’est à l’ouest du continent,
devrait être de construire avec leurs têtes et leurs mains, une Afrique qui
donne envie, qui leur donne envie de s’intéresser à elle, et qui donne envie
aux autres, à toutes les autres communautés humaines qui ont cette planète en
commun, d’y trouver une inspiration pour créer de nouvelles formes de
modernité.
C’est cet état d’esprit fait
d’un improbable cocktail de confiance, de réalisme, d’un joyeux idéalisme,
d’une concentration sur l’Afrique et d’une ouverture sur toutes les autres
régions du monde que nous avons choisi de commencer à promouvoir. En commençant
par l’Ouest. C’est le pari que se lance le WATHI, laboratoire d’idées et boîte
à outils au service d’une Afrique de l’Ouest qui ne se fixe pas de frontières
rigides. L’Afrique intimement désirée de demain, c’est celle qui se construira
par la double cadence des pays qui s’organisent et travaillent ensemble au sein
de chacune de ses communautés régionales, et de ces dernières oeuvrant ensemble
à donner un sens à l’idéal panafricain.
Publié
par Thinking Africa le 26 février 2015, http://www.thinkingafrica.org
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