A quelques heures d’un vote crucial
pour les perspectives de paix et de transition démocratique réelle au Burkina
Faso, un long développement sur l’absurdité d’une énième manipulation
constitutionnelle visant exclusivement à prolonger le pouvoir d’un chef d’Etat
africain ne servirait à rien. Ce n’est plus le moment d’épiloguer sur
l’acceptabilité des arguments mis en avant par le camp du président Blaise
Compaoré et sur la force de ceux que leur opposent les adversaires au projet de
révision de la Constitution.
Ce qu’il me semble important de dire
aujourd’hui, à la veille d’un vote à l’assemblée burkinabè dont les
conséquences pourraient être significatives pour plusieurs autres pays du
continent dirigés par des présidents qui voient s’approcher avec angoisse la
fin de leur dernier mandat autorisé, c’est que la question de la révision de la
constitution aux fins de maintien au pouvoir n’est pas une question juridique.
Il est insupportable d’entendre ici et là, comme parade définitive à toute
expression de révolte, que l’initiative du camp présidentiel à Ouagadougou est
parfaitement légale et respectueuse des exigences démocratiques, puisque la
Constitution autorise la modification de l’article relatif au nombre de mandats
présidentiels, et qu’en cas de référendum, le dernier mot reviendrait au peuple
souverain.
La question qui se pose au Burkina
Faso aujourd’hui n’est pas juridique. Elle est morale. L’instrument du droit
tout comme les systèmes et les modèles politiques que les sociétés ont créés et
ont constamment modifiés au fil des siècles correspondent à des valeurs
auxquelles elles aspirent et à des principes qu’elles estiment nécessaires de
s’imposer pour tendre vers leur vision de ce que serait une société idéale.
Adopter des règles de limitation des mandats dans des constitutions et
mobiliser ensuite toute son énergie, son temps et sa créativité juridique et
politique à les contourner traduit une ignorance profonde du fondement éthique
de la construction de systèmes politiques démocratiques. Cela montre le gouffre
qui persiste dans nos pays entre l’aspiration proclamée au formalisme
démocratique et l’adhésion effective à la culture démocratique. Cette dernière suppose
l’adhésion à des valeurs et des principes, comme l’impératif de l’alternance au
pouvoir, et pas seulement le respect des textes constitutionnels, le respect du
droit et celui du vote populaire.
Il est osé et dérangeant de le dire,
mais il le faut : ce n’est pas le vote populaire qui, seul, doit décider
en tout temps et en tout lieu sur les questions qui relèvent de l’éthique de la
société. Le peuple décide sur la base d’une offre de choix qui lui est proposée
par celles et ceux qui se présentent comme ses élites. Ces dernières, lorsqu'elles ont une culture démocratique, ne proposent pas au peuple des options qui
vont à l’encontre de l’esprit même de la construction démocratique et de celle de
sociétés en paix.
Pas de long article, avais-je annoncé. Alors je conclus par
un extrait d’un article que j'ai écrit en 2009, il y a déjà cinq ans, lorsque Dadis
Camara en Guinée et Mamadou Tandja au Niger, avaient révélé leur volonté de
s’accrocher au pouvoir, le premier en ayant l’intention de se présenter à une
élection à laquelle il s’était engagé à ne pas être candidat, le second en
décidant de prolonger son mandat de quelques années pour finir ses
chantiers :
« Voir les choses en blanc ou en noir, un peu à la George W
Bush, n'est, il est vrai, pas très sophistiqué et rarement correct. N'empêche
que dans les pays africains aujourd'hui, deux groupes se font bel et bien
face : celui des femmes et des hommes qui ne pensent qu'à eux et aux leurs
(la famille élargie parfois au clan ou au groupe ethnique) et sont prêts
littéralement à tout pour conserver leur confort ou l'améliorer, et celui des
personnes qui ne veulent pas de sociétés bâties sur l'égoïsme et l'absence de
la moindre valeur partagée. Dans beaucoup d'endroits sur le continent, le
rapport de forces est pour le moment clairement favorable aux premiers, et de
loin. Jusque-là, ce sont les premiers qui enterrent les seconds, au propre et
au figuré. Mais ils ne les enterreront pas tous. »
Il ne reste plus qu’à espérer que la
raison prévaudra au pays des hommes qui ont aspiré à un moment donné de leur
histoire à être des hommes intègres.
Merci Gilles de cette réflexion très instructive. Esperons que le beau Blaise revienne a la raison et sue les femmes n'auront pas besoin d'utiliser leurs spatules. Boubacar, CRM
RépondreSupprimerBravo!
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