Lettre
ouverte au Directeur général de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé
(OOAS)
Monsieur le Directeur Général,
Le site internet de l’OOAS apprend à tous les citoyens
de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont
l’OOAS est une agence spécialisée, que l’objectif de l’organisation est
« d’offrir le niveau le plus élevé en matière de prestation des soins de
santé aux populations de la sous-région sur la base de l’harmonisation des
politiques des États Membres, de la mise en commun des ressources et de la
coopération entre les États Membres et les pays tiers, en vue de trouver
collectivement et stratégiquement des solutions aux problèmes de santé de la
sous-région.»
Au moment où l’Afrique de l’Ouest est confrontée à la
crise sanitaire la plus grave de son histoire contemporaine, et alors que
plusieurs dizaines de personnels de santé déjà en nombre insuffisant dans les
pays les plus touchés succombent toutes les semaines de la maladie à virus
Ebola, nous sommes extrêmement préoccupés par la faiblesse de la réponse
régionale ouest-africaine à la crise.
Nous nous sommes d’abord réjouis de découvrir sur le
site internet de l’OOAS un lien vers une page spéciale « Tout sur
Ebola », avant de déchanter en faisant les constats suivants :
1.
Le 15 octobre 2014, les données
les plus récentes sur l’épidémie disponibles sur le site dataient du 21
septembre 2014 dans les trois pays les plus affectés (Liberia, Sierra Leone,
Guinée). Compte tenu de la gravité de l’épidémie et des chiffres donnés par
d’autres sources d’information indiquant une tendance croissante, les
populations de la région seraient en droit de s’attendre à une actualisation
quotidienne ou au moins hebdomadaire des données sur chaque pays.
2.
Plus surprenant, les pages
auxquelles renvoient les liens affichés sur la partie dédiée à la crise Ebola
et qui semblent centrales pour la compréhension de l’épidémie et de sa réponse
actuelle, ne sont pas fonctionnelles. Ces pages qui ne donnent donc aucune
information sont les suivantes :
· Les
connaissances et attitudes pratiques au profit des populations
· Liste
des laboratoires de dépistage du virus Ebola
· La
recherche (traitement) sur le virus
3.
Le lien sur votre site
« Autres sources importantes d’information » dirige le visiteur vers
trois pages du site de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Nous nous permettons de porter à votre
attention que le site du Centre of Disease Control and Prevention (CDC) des
Etats-Unis est également très informatif mais aussi, dans le contexte de
région, ceux d’autres sources d’information qui documentent par exemple les
essais vaccinaux en cours au Mali ou ceux prévus en Gambie.
Monsieur le Directeur Général,
Vous savez mieux que nous que la crise sanitaire
actuelle affecte non seulement la santé de nos populations, le patrimoine
ouest-africain en ressources humaines en santé gravement diminué par la
surmortalité du personnel sanitaire en première ligne face à la maladie à virus
Ebola, mais également l’économie, la paix et la sécurité dans toute la
région. Si l’Organisation Ouest Africaine de la Santé ne se situe pas au
premier plan de la réponse aujourd’hui, les citoyens des pays membres de la
CEDEAO pourront légitimement s’interroger sur la raison de son existence
demain.
Les liens non fonctionnels du site web de votre
organisation auraient pu constituer une source d’information précieuse sur les
trois éléments de la réponse qui semblent aujourd’hui essentiels à repenser en
urgence :
1. Le
rôle central d’une information transparente, correcte et honnête:
Les médecins sont en
général payés par la population et/ou par l’Etat en échange de services qui
correspondent à une prestation valorisée par eux. Si nous nous retrouvons en
pleine épidémie avec des violences de la part de certaines populations envers
les acteurs de la réponse à la maladie, il s’agit soit d’une mauvaise compréhension de l’offre de
services soit d’une offre comprise mais non valorisée. Ces violences ou le
simple fait pour des populations de ne pas collaborer à la réponse à l’épidémie
en ne livrant ni malades ni cadavres potentiellement infectés, ont justifié
l’intervention de l’armée dans certains des pays affectés (Sierra Leone), ont
fait des morts parmi les acteurs de la réponse (Liberia, Guinée) et continuent
d’affecter la surveillance épidémiologique dans les trois pays.
Une revue rapide des
messages relatifs à l’épidémie dans les pays affectés montre combien ces
messages sont dans leur grande majorité directifs plutôt qu’explicatifs. Ce
constat est vrai quelle que soit la source des messages (gouvernements,
Nations unies, organisations non gouvernementales, y compris Médecins
Sans Frontières, MSF).
Qu’a fait l’OOAS pour
lever le préjugé qui est véhiculé par cette information parfois infantilisante
et paternaliste, le préjugé qu’expliquer ce qu’est un virus, un système immunitaire,
un test, serait trop « compliqué » comme information pour les
populations les plus pauvres et les plus exposées de notre région ?
N’avons-nous pas su expliquer ces concepts en relation à l’épidémie du
VIH Sida il y a quelques années ? Nous n’avons pour l’instant vu
aucune trace écrite d’une explication du rôle du système immunitaire dans la
guérison, du rôle des soins apportés dans les structures de prise en charge
Ebola dans le renforcement de ce même système immunitaire.
Sans ces explications,
peut-on être surpris de
l’incompréhension et de la méfiance des populations auxquelles on dit
« il n’y a pas de remède à Ebola mais venez dans une structure de prise en
charge pour vous soigner » ?
L’OOAS pourrait par
ailleurs se pencher sur une terminologie qui parait parfois confuse et qui,
selon nos informations, rend difficile la réintégration, au sein de leurs
communautés, des patients sortis « guéris » des centres de prise en
charge, le résultat de leur test étant passé du positif au négatif. L’information
selon laquelle ces malades pourraient continuer à transmettre le virus pendant
trois mois, mais exclusivement en cas de rapports sexuels non protégés en
raison d’une présence résiduelle du virus dans le sperme, semble être une
source d’incompréhensions et de rejets.
Une information plus
juste et plus claire aurait par exemple fait comprendre que le risque
d’infection majeur dans cette épidémie se trouve au niveau des malades et des
morts infectés par le virus. Cela aurait pu dès les débuts de l’épidémie
circonscrire la panique, surtout celle qui s’est emparée des pays non encore
infectés. Le rôle du lavage des mains au savon, et pas seulement à l’eau
chlorée ou eau de javel, dans la prévention de l’infection aurait également
gagné à être souligné dès le début de l’épidémie, au vu de son efficacité et de
accessibilité.
2. Le
rôle crucial du laboratoire de test pour stopper l’épidémie
Dans le cadre d’une
épidémie aussi meurtrière, d’une maladie aussi
contagieuse lorsqu’elle est déclarée et en l’absence d’un traitement
spécifique, l’urgence semble se situer au niveau d’un diagnostic le plus rapide
et le plus fiable possible, pour que le personnel soignant prenne les
dispositions nécessaires à sa propre protection ainsi qu’à la prise en charge
des patients en fonction de la maladie
diagnostiquée. Combien de patients atteints de fièvre typhoïde, paludisme, ou
autre maladie mimant les signes ou symptômes d’Ebola sont aujourd’hui privés de
consultation et de traitement par refus du personnel soignant de s’exposer à
une potentielle source de contamination ?
Il est donc étonnant
que la capacité de diagnostic en laboratoire reste si faible aujourd’hui et que
la majorité de cette capacité se trouve à l’intérieur de structures de prise en
charge ou de « transit » où les patients suspects – donc, par
définition, réellement infectés ou non quelle que soit la finesse du triage mis
en place – se retrouvent sous une même tente, pendant des heures, parfois des
jours, avec un réel risque d’infection nosocomiale.
Ces acteurs de
laboratoire, ayant les capacités et les compétences requises ont-ils été
mobilisés de manière adéquate durant cette réponse ? N’était-il pas
possible, avec tous les fonds destinés à la réponse, d’imaginer des
laboratoires mobiles qui auraient la capacité de tester de manière sécurisée
les patients là où ils se trouvent au moment où leurs symptômes apparaissent,
si un système de triage efficace existait, par exemple au niveau de centres
d’appels gratuits qui dans certains pays (Guinée) ne fonctionnent toujours
pas ?
3. La
nécessité d’une réponse thérapeutique adaptée
Quels sont les
protocoles appliqués aujourd’hui dans les centres de prise en charge et quelle
en est la base scientifique et opérationnelle ? Toute la composante
thérapeutique semble déléguée aux ONG internationales, MSF en premier lieu.
Pourquoi ? Les soins présentement offerts dans les centres de prise en
charge des trois pays les plus affectés sont bien moins sophistiqués que ceux
prodigués dans les structures de soins intensifs des pays plus développés. Ces
soins peuvent être dispensés par les ressources humaines en santé présentes
dans la région, si la logistique et la formation relatives au contrôle de
l’infection en milieu de soins permettent à ces mêmes ressources d’exercer leur
métier avec un risque minimal
d’infection.
Il est indispensable
que les personnels de santé des pays d’Afrique de l’Ouest soient formés et
équipés pour répondre à la présente épidémie mais également être en mesure de
répondre aux futures crises sanitaires, liées au virus Ebola ou non.
L’engagement sur le terrain d’une ONG comme MSF et l’appui d’autres acteurs
internationaux sont salutaires et sauvent des vies mais les autorités
politiques et sanitaires de la région ne peuvent se satisfaire de sous-traiter
la gestion de la santé de leurs populations à des organisations
humanitaires.
Monsieur le Directeur général,
Vous savez mieux que nous qu’aucune épidémie ne peut
être ralentie puis stoppée sans un suivi extrêmement pointilleux des données
épidémiologiques fiables. De quelle manière l’OOAS participe-t-elle à cette
récolte de données et à la vérification de la qualité de ces dernières ?
Savons-nous par exemple quelles sont les modalités d’infection du personnel de
santé dans chacun des pays concernés ? Des audits de mortalité ont-ils été
faits ? Si oui, quelles en sont les principales conclusions et les
recommandations pour le personnel de santé?
Comment l’organisation que vous dirigez s’assure-t-elle
que les divers acteurs engagés dans la réponse à l’épidémie suivent les
directives sur la prise en charge des cadavres par exemple ? Avez-vous vu
sur internet les vidéos qui montrent les cadavres aspergés de produit
désinfectant, alors que les directives de l’OMS et du CDC recommandent de
pulvériser le désinfectant plutôt sur la housse dans laquelle est placé le
cadavre et de la recouvrir d’une seconde housse également
traitée ?
C’est parce que l’OOAS existe, qu’elle est en activité
depuis quatorze ans et que votre mandat est si important que nous nous
permettons de vous soumettre cette longue liste de questions. Au moment où la
crédibilité de l’OMS est grandement remise en cause, la vôtre a peut-être
besoin de s’affirmer. L’Afrique de l’Ouest est fière de disposer de mécanismes
formels d’intégration et de solidarité régionales les plus avancés sur le
continent. Si son agence spécialisée en matière de santé est incapable de faire
entendre une voix claire, forte, juste et unique pour défendre l’intérêt
collectif des populations de la région face au virus et à la multitude de
réponses approximatives et disparates, ces dernières pourront légitimement
douter de la nécessité de l’existence de toutes ces institutions régionales.
Avec l’assurance de nos meilleurs sentiments,
Dr Fatou Francesca Mbow, consultante indépendante en
santé humanitaire,
Dr Olakounlé Gilles Yabi, économiste et analyste
politique indépendant, ancien directeur Afrique
de l’Ouest de l’International Crisis Group,
Les deux auteurs sont également membres du WATHI, un
réseau de citoyens engagés pour une Afrique de l’Ouest apaisée, solidaire,
ouverte, productive et digne.
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